Dinard’s delight
Dinard, proclamée « la plus britannique des villes françaises » lance le premier week-end de la première édition d’un Festival des musiques britanniques : le Dinard Opening. A l’heure du Brexit et de la pandémie de Covid, Dinard souhaite ainsi maintenir et renforcer un lien entre la France et le Royaume-Uni grâce à la musique. Mêlant tous les genres musicaux, ouvert à toutes les influences, le Festival vise à donner du bonheur à tous les publics et dans des lieux diversifiés : salles, scènes extérieures, ou lieux plus insolites comme des halls d’hôtels, jardins ou bords de mer.
Crise sanitaire oblige toutefois, pas de musicien venu d’Outre-Manche mais un programme constitué de musiques anglaises, galloises, écossaises, irlandaises interprétées par des artistes ayant un lien fort avec les îles britanniques ou le monde celtique.
Tout naturellement, The Queen’s delight, le programme proposé par Les Musiciens de Saint-Julien trouve sa place par son état d’esprit : mélange des traditions musicales savantes et populaires venues d’Angleterre, ouvertes à toutes les strates de la société du XVIIème et XVIIIème siècle. Un programme qui réunit des tubes de l’époque issus du répertoire autant vocal qu’instrumental, composé autour des ballades et contredanses à la mode dans le Royaume-Uni de cette époque. Les pièces sont choisies parmi les mélodies compilées par John Playford dans le recueil English Dancing Master (publié entre 1651 et 1728). Quelques pièces d’Henry Purcell (How vile are the sordid intrigues - The lad of the Town) complètent ce programme, illustrant l’importance et l’influence de la musique populaire chez ce dernier.
L’approche de ce répertoire semble spontanée mais en amont se cache un grand travail de recherche, une longue expérience autour de ces musiques et des connexions avec le monde de la danse, essentielles, selon François Lazarevitch : « le jeu pour la danse nous permet de mieux comprendre les sources anciennes et de donner plus de naturel à ces façons de jouer décrites dans les traités ». En résulte un délice savoureux, tonique, cadencé et varié, loin de la musique officielle en vigueur à la cour.
La mezzo-soprano Fiona McGown aux goûts éclectiques (allant du compositeur baroque Cavalli à la compositrice contemporaine Camille Pépin), est à l’aise dans ce répertoire comme si elle avait toujours pratiqué cette forme singulière de chant, dosant, avec subtilité, élégance aristocratique et spontanéité d’un chant plus populaire, plus « folk ». Sa voix chaleureuse se mêle à l’ensemble des musiciens pour une interprétation sensible et compréhensive des textes. Son émission est naturelle, sans grands effets lyriques. Elle joue avec agilité de sa voix de poitrine et de tête, apportant un grand soin aux nuances et au phrasé mélodique.
Elle peut être émouvante et touchante comme dans Sefanchi’s Farewell, complainte d’une jeune femme pleurant son amant mort, ou encore dans A lad of the town, histoire d’un garçon éperdument amoureux d’une belle endormie. Elle devient éloquente et énergique dans How vile are the sordid intrigues où elle narre l’impatience d’une pauvre vierge qui désespère de trouver un mari dans une ville où tricherie et mensonge dominent.
Enfin, elle cadence au rythme des castagnettes et du violon la versification du texte de Mr lane’s maggot où elle invite les sorcières, maquereaux, nymphes et vieilles défraîchies, Lourdauds et Nigauds à taper du pied jusqu’à la fin de la nuit.
Elle est rejointe par Enea Sorini tout d’abord dans Drive the cold winter pour évoquer les veillées au coin du feu puis dans The Witty Western Lasse où le chanteur suggère l’homme qui a fui, abandonnant la douce Lucina, enceinte.
Chanteur atypique, il interprète seul An italian Ayre (seule infidélité à la thématique du programme) où sa voix de baryton se révèle douce, homogène avec une voix mixte bien maîtrisée. Egalement percussionniste, il joue du tympanon avec dextérité et apporte couleurs et dynamisme à l’ensemble.
Selon le principe du broken consort (ensemble d’instruments issus de familles différentes), les instruments choisis sont en cohérence avec le style où il était courant de diversifier les timbres afin de varier les couleurs et les ambiances. L’association des cordes en métal (cistre et tympanon) mélangées aux cordes en boyaux (harpe, violon et viole) apporte ainsi de belles et riches sonorités.
Jouant de la flûte ou de la petite cornemuse écossaise, François Lazarevitch se met à la mode celtique, épaulé par le violon (parfois proche du jeu du fiddle) d’Ida Meidell Blylod : les mélodies sont richement ornées, les rythmes bien marqués dans les jigs, grounds et autres contredanses. Les cordes se pincent avec le cistre ou l’archiluth d’Eric Bellocq, la harpe triple de Marie Bournisien rejoints par le jeu en pizzicato de la violoniste dans la danse Emperor of the moon. La viole de gambe de Salomé Gasselin dialogue mélancoliquement avec la voix de Fiona McGown ou s’exprime avec virtuosité dans les variations de John come kiss me now, donnant la réplique au violon.
Les musiciens mènent joyeusement la danse et restituent dans une grande liberté de jeu et de virtuosité toutes les saveurs de cette musique où chacun peut y trouver son plaisir. Plaisir partagé par un public enthousiaste qui applaudit chaleureusement.