Amanda, création lyrique historico-féministe par Les Débouvetés à l’Auguste Théâtre
La Compagnie Les Débouvetés annonce, par son nom (antonyme d'embouvetés : assemblages de planches par rainures) la couleur déjantée de cet opéra historico-féministe en un acte. Le résultat, fruit d'un travail indépendant mené en résidence, est aussi engageant qu'engagé, avec une distribution 100% féminine (le contrepoint masculin sonore manquant tout de même un peu, pour l’équilibre des voix et la diversité) et une intrigue historique. L’action est située au lendemain de la guerre d’Algérie dans un appartement parisien où deux collègues veulent assassiner Amanda, une speakerine de l’ORTF. Erreur sur la personne : les deux protagonistes ont liquidé une dactylo proche de l’OAS, Chantal, qui préparait elle aussi un attentat contre cette Amanda. Le spectacle bascule ainsi en permanence du rire à l’horreur dans un long duo féminin survolté, avec quelques sous-entendus saphiques et une bonne dose de pathos tempéré par l’humour (le tout avec Achille Aboulin en assistant à la mise en scène).
L'orchestre très chambriste accompagne discrètement les voix, dissimulé par un décor touchant, fait de meubles en rotin et de lés de tissu bleu et orange pendant sur des structures métalliques. La clarinette solo d’Olivia Leblanc ouvre la comédie avec maîtrise et brio, rejointe avec sensibilité par le violon de Léna Lange-Berteaux et l’alto de Solène Dumontier. Le violoncelle d’Aurélie Diebold sait être d’une grande expressivité sans couvrir les autres instruments : fin dosage, obtenu grâce à l'écoute mutuelle. Leur partition mêle musique populaire des années soixante et phrases orientalisantes (inclusions de mélodies du Maghreb qui enrichissent la composition).
Fraîche émoulue du Royal Birmingham Conservatoire et des académies d’été du Mozarteum de Salzburg, la compositrice et mezzo Hélène Ducos a plus d’une corde (vocale) à son arc : dans le rôle de Mathilde, son articulation très précise sert des expressions tantôt d’une dureté douloureuse à la Britten, tantôt d’un burlesque d’opérette (de quoi l'imaginer aisément dans le répertoire de cabaret d’Ute Lemper, tant sa cruauté androgyne et gouailleuse fait sonner le malsonnant). De jolies scènes en ombres chinoises la font palabrer avec Brigitte, speakerine remplaçante d’origine kabyle, interprétée par Laura Kimpe. Cette artiste swingue elle aussi gaiement entre les disciplines, danse, violoncelle, guitare, blues, chant lyrique, électro-pop et black metal symphonique (ayant par ailleurs participé à des créations mondiales aussi bien qu'à l'opérette Phi-Phi). Sa typologie vocale est celle d’une soprano, mais son vaste ambitus lui permet d’atteindre le bas du registre avec aisance et souffle, dotée de couleurs chaudes, d’un volume puissant et d’une rondeur de timbre, le tout avec intelligence et sensibilité. L’air berbère qu’elle interprète s'offre ainsi comme le sommet de sa musicalité élastique, entre phrases savamment distillées piano, et jeu d’actrice incarné.
Le spectacle parvient ainsi à toucher bien autrement que par le caractère expérimental et les codes du polar, imposant rapidement l'évidence joyeuse et éclatante de ses thèmes pourtant grave : le public exulte.