Jules César et Cléopâtre à égalité à Montpellier
Philippe Jaroussky et son Ensemble Artaserse sont depuis cette saison en résidence à l’Opéra de Montpellier, là où le contre-ténor a débuté sa carrière de chef d’orchestre en mai 2021, en version concert, avec Il Primo Omicidio, oratorio de Scarlatti qui reçut un accueil enthousiaste.
Dès son entrée en fosse, le public présent lui réserve d’ailleurs une superbe ovation, qui se renouvellera au terme de la représentation. En fin connaisseur de l’opéra baroque et de Jules César en particulier pour y avoir incarné le rôle périlleux de Sextus, Philippe Jaroussky démontre ses capacités à rendre pleinement justice à l’ouvrage, portant une attention toute particulière au plateau vocal et soucieux de préserver les équilibres.
Sa battue précise et énergique exalte les parties les plus vives et virtuoses de la partition tout en mettant en valeur les pages plus teintées de mélancolie ou de tristesse. Son autorité, qui peut certes encore s’affirmer, apparaît déjà réelle, tangible et marquée du sceau de l’intégrité. L’Ensemble Artaserse rayonne sous sa direction (ce malgré quelques défauts de justesse corrigibles du côté des violons et des cuivres). La musique de Haendel se pare ici de volupté et de sensibilité, n’excluant pas les grandes envolées vocales et lyriques.
La soprano Emöke Baráth, fidèle complice et partenaire de Philippe Jaroussky -leur dernier disque Dualità est paru récemment-, incarne une Cléopâtre fiévreuse avec cette forte présence scénique qui la caractérise. Elle imprime ses marques à ce rôle qu’elle fait remarquablement évoluer de la tentatrice et ambitieuse d’origine à la femme amoureuse et toute de sincérité à la fin. La voix s’impose par sa richesse et sa ductilité, la beauté des aigus et ce vibrato léger qui ajoute à son charme naturel. Sans basculer dans une pyrotechnie gratuite, Emöke Baráth assume avec vaillance les vocalises et surtout fait preuve d’une émotion juste qui pare chacun de ses airs si célèbres : le public de l’Opéra Comédie paraît comme suspendu à ses lèvres avant de déclencher des salves d’applaudissements.
Dans le rôle-titre, Gaëlle Arquez assure pleinement sa partie, de sa voix aux sombres couleurs et suffisamment virtuose. Sa ligne de chant tout en nuances et pleine à la fois convient tout à fait au personnage de Jules César, dont le metteur en scène Damiano Michieletto souligne, par la présence de sénateurs romains armés jusqu’aux dents, la funeste destinée prochaine. À plusieurs moments cependant, une certaine fatigue se fait ressentir et la voix s’impose avec un peu moins d’acuité.
Lucile Richardot déploie de riches moyens de contralto dans le rôle de la douloureuse Cornelia et de façon plus épanouie dans les pages où sa peine cherche à s’exhaler. Elle forme avec le contre-ténor Franco Fagioli qui incarne son fils Sextus, un couple d’une réelle puissance dramatique. Ce dernier déploie comme à l’habitude un immense ambitus vocal de l’extrême aigu aux graves puissamment nourris. Il semble se jouer des difficultés multiples dont le compositeur a émaillé ses interventions. Dans le duo Cornelia/Sextus de la fin du premier acte, Son nata a lagrimar, air saisissant de déploration et de séparation, les voix des deux artistes parviennent à une forme de plénitude, se répondant l’une à l’autre dans une harmonie parfaite et totalement complémentaire, pur moment de grâce et de musicalité.
Le contre-ténor Carlo Vistoli incarne un Ptolémée presque démesuré, empli de rage et de sadisme même, osant lui aussi les grands écarts avec de puissants changements de registres telluriques, impérieux. Une composition certes extrême mais qui révèle un artiste d’exigence. La voix fort bien assise du baryton Francesco Salvadori, dotée d’un registre aigu plein et viril, assez clair de timbre, donne tout son caractère au rôle d’Achille. Le contre-ténor Paul Figuier convient pleinement dans le (court) rôle de Nireno par la clarté de sa voix et sa limpidité expressive, tandis que le baryton-basse Adrien Fournaison donne toute satisfaction dans les quelques interventions de Curio.
Cette production de Jules César signée par les soins de Damiano Michieletto avait reçu un accueil mouvementé lors des représentations parisiennes. Pourtant, sa mise en scène moderne certes par son esthétisme, se conforme assez volontiers au sujet, sans vouloir accentuer inutilement les effets ou aggraver les situations exposées. Elle se veut lisible par le public, mais ne parvient pas totalement à résoudre les problématiques engendrées par les longs airs da capo (avec reprise) qui manquent de fait d’animation (sans compter l'importante durée du changement de décor à l’entracte, 45 longues minutes au regard du résultat scénographique).
La longueur est toutefois et avant tout celle du triomphe adressé par le public montpelliérain à cette majestueuse soirée.