Mireille de Gounod, lyrique et onirique à Metz
Mireille de Gounod a la réputation d’être un opéra à écouter les yeux fermés du fait de sa riche musique desservie par un livret (de Michel Carré) désuet : son folklore, sa sorcière, son méchant englouti dans les flots sous l’effet d’une punition divine, et peut-être surtout sa fin au tragique presqu’absurde (Mireille quitte Vincenette pour rejoindre à pieds sous un soleil écrasant son amant Vincent qu’elle croit blessé, et meurt d’une insolation dans les bras de ce dernier -sa blessure n’étant finalement pas grave- et ceux de Vincenette arrivée en même temps par un moyen plus sûr). Ces défauts sont ici atténués par l’esthétisme onirique (peu d’éléments de décors tangibles à part la vieille muraille de l’acte II, que décrit le livret) de la mise en scène de Paul-Émile Fourny. La focale se fait en effet sur les symboles et les passions, plutôt que sur les péripéties. A l’acte I, le chœur tisse, dans un bel et ingénieux dispositif, une riche robe rouge, symbolisant la classe sociale de Mireille, qui rend son union avec Vincent impossible. Ce costume tisse dès lors lui-même un fil rouge au cours de l’histoire, apparaissant à chaque acte pour montrer d’une manière ou d’une autre le poids de ces rapports sociaux. Toujours, les seconds plans sont travaillés par des jeux muets. En revanche, le duel entre Ourrias et Vincent à l’acte III est trop mou pour convaincre. Le Ballet de l'Opéra, mené par Aurélie Barré, peu mis en valeur dans la célèbre farandole, vient en revanche habiller avantageusement l’acte III pour illustrer les angoisses coupables d’Ourrias.
La musique ainsi mise en valeur, le spectateur peut apprécier les chœurs entrainants, les airs romantiques ou dramatiques et la grande puissance des ensembles. A la tête de l’Orchestre national de Metz dont il est Directeur musical, David Reiland apporte une légèreté dans l’interprétation, dessinant des nuances de tout son corps (s’accroupissant pour demander des piani d’ailleurs pas systématiquement obtenus). Le Chœur apporte son enthousiasme, mais se retrouve à la peine rythmiquement, provoquant de nombreux décalages, en son sein et avec la fosse.
Gabrielle Philiponet s’empare du rôle-titre (délesté des airs « Légère hirondelle » à l’acte I et « Heureux petit berger » à l’acte IV, l’intervention du pâtre étant déplacée d’un tableau au suivant) d’une voix douce et soyeuse dans le registre médian, plus cuivrée dans l’aigu, toujours vibrante. Elle tire de son phrasé une noblesse en phase avec son personnage. Bien que la voix soit un peu épaisse pour la première partie, elle parvient globalement à se tirer de la difficulté de ce rôle, assez léger au début, mais évoluant vers des lignes plus dramatiques au fil de l’œuvre. Son amant Vincent trouve en Julien Dran sa candeur et sa timidité, mais aussi son rayonnement : les mains tenant sans cesse les pans de son veston, il déploie un chant moiré et large, au phrasé dessiné avec musicalité et nuance, jusqu’aux aigus très maîtrisés.
En Ourrias, Régis Mengus a la voix corsée du mauvais garçon. Le rôle paraît toutefois surexploiter son registre haut, dans lequel il est pourtant moins à l’aise que dans ses graves brillants (la voix déraille même à deux reprises et s’y trouve déstabilisée par un vibrato trop prégnant). Pierre-Yves Pruvot offre à Ramon sa voix crépusculaire et son phrasé sentencieux, ainsi qu’une couverture vocale prononcée. Le souffle un peu court limite la vivacité de son chant mais n’empêche pas une projection puissante. Dans le rôle de la sorcière Taven, Vikena Kamenica expose une voix épaisse, profonde et chaude au vibrato rond et au souffle long.
Vincenette est interprétée par Ana Fernández Guerra avec un accent qui n’empêche pas la compréhension. La voix est fleurie et vive, le vibrato léger et rapide. L’émission est si large qu’elle doit la contrôler dans son duo avec Mireille pour ne pas le déséquilibrer. Passeur, Bertrand Duby dispose d’une basse chaleureuse et charbonneuse. Mais la ligne se tend en Ambroise lorsque l’aigu est plus sollicité, la voix se faisant alors rocailleuse et tremblante. Aline Le Fourkié assume le court rôle de Clémence d’une voix rougie et mature tandis qu’Ornella Bourelly est une Voix d’en haut brillante et légèrement sonorisée, au phrasé arien.
Le public se montre satisfait d’avoir entendu cette œuvre rarement donnée, mais aussi de ses interprètes, réservant également un accueil chaleureux au Directeur du lieu et metteur en scène Paul-Émile Fourny pour sa vision à la fois classique dans son esprit et moderne dans son esthétique.