Notre-Dame au Châtelet, Grâce au Concert Spirituel
Hervé Niquet a bâti ce concert-hommage, suite au choc universel ressenti devant les images de Notre-Dame en flammes et en s'appuyant sur ses études à l'orgue d'une école religieuse. C'est un "Office fantôme" qu'il propose avec les 26 choristes de son Concert Spirituel et l'orgue de François Saint-Yves, plongés dans la pénombre voire dans l'obscurité, visibles à travers le rideau-écran translucide à l'avant-scène, sur lequel sont projetées des images du chantier de Notre-Dame.
Ce concert immersif associe même à cette création vidéo une atmosphère olfactive : "l’odeur de brûlé fait partie du spectacle" (elle reste toutefois très légère, même si elle n'est pas combattue par celle annoncée du plomb fondu et de l'encens). La fascinante hallucination des sens se fait surtout auditive avec la reconstitution de l'acoustique de la Cathédrale : "générée en temps réel dans le théâtre grâce à la technologie En-Space d&b audiotechnik, en partenariat avec le CNRS", parachevant la transformation du Châtelet en Notre-Dame.
Les bruits des marteaux-piqueurs, des sirènes et du Tocsin (prévenant des incendies) cèdent bientôt la place à la musique, suivant le déroulement d'une Messe en puisant des séquences alternativement chez différents compositeurs, mais qui s'enchaînent ici naturellement et sans transitions.
Le Bien Nommé Concert Spirituel ici dans sa phalange chorale propose un programme d'œuvres rares et sacrées. Ce sont bien entendu des chants grégoriens de l'Ecole de Notre-Dame (la Cathédrale ayant été le berceau d'une page fondatrice pour la musique Occidentale) qui encadrent les pièces religieuses ici choisies, pièces bien moins connues que les opéras de leurs compositeurs (Saint-Saëns, Delibes, Gounod). La redécouverte des œuvres de ces artistes résonne avec le travail qu'accomplit Hervé Niquet en compagnie du Palazzetto Bru Zane, leur ancrage dans le XIXe siècle rappelle combien la Cathédrale Notre-Dame de Paris a été transformée à cette période, par Viollet-le-Duc, Geoffroy-Dechaume et le grand orgue Cavaillé-Coll.
La cérémonie est conduite par l'officiant Hervé Niquet, sur une chaise-haute telle la chaire d'où il fait se lever et s'asseoir les chanteurs (comme à la messe), d'où il dirige les phrasés avec la souplesse du revers d'une main avant de lancer des accents très verticaux comme pour en marquer le tocsin. Les voix s'unissent et répondent ainsi avec souplesse et caractère, à l'unisson comme en mouvements fugués.
Les sopranos savent coiffer la polyphonie des mélodies à l'octave mais aussi apporter la douceur de leur timbre à la matière globale. Les ténors lancent les thèmes et apportent leurs lumineuses couleurs aux cadences finales, repartant d'autant mieux vers les thèmes suivants. Les altos apportent leur riche tempérament, mais en nourrissant également l'accord, installé sur la charpente des voix de basse. Chaque voix et chaque ensemble est soit soutenu par l'orgue de François Saint-Yves, soit en dialogue avec lui.
Si les voix et les tuyaux déploient d'emblée et constamment leur matière charpentée, les projections vidéo illustrent quant à elles la reconstruction progressive de la Cathédrale qui reprend des couleurs jusqu'à inonder la salle de la rosace colorée de ses vitraux : comme un message d'espoir qui résonne avec tout ce projet.
Les cloches se remettent finalement à sonner, non plus pour annoncer un incendie mais pour célébrer la bonne nouvelle qui s'annonce. Les musiciens quittent alors la salle sans cérémonie : le public les retrouvera dans le Hall du Théâtre, c'est là qu'ils saluent (pour conserver à la salle l'aura sacrée qui fut la sienne le temps de cette reconstitution).
Le public ne peut alors qu'être saisi en sortant du Châtelet, voyant, après la pluie battante d'un grand orage, les tours ensoleillées de la Cathédrale Notre-Dame de Paris.