La Dame de Pique à l'Opéra Grand Avignon par le Directeur du Festival
La mise en scène d’Olivier Py n'hésite pas à souligner les contrastes de cette oeuvre et du théâtre même, entre tragédie (très chargée mais cohérente) et quelques respirations comiques. Son fidèle acolyte Pierre-André Weitz (décors et costumes) installe le drame dans un imposant bâtiment en ruines sur plusieurs niveaux, avec beaucoup d’espaces, de recoins pour les chœurs, et un aspect modulable qui permet de se retrouver dans la chambre de la comtesse, d'Hermann ou de Lisa, voire dans un théâtre avec son public.
Signature aussi du travail d’Olivier Py : frileux des yeux s'abstenir ! Daniel Izzo proposant une chorégraphie osée sur la sensualité et le désir du corps masculin, avec des danseurs très peu habillés, parfois travestis, et force gestes explicites au cœur même des scènes comiques. Le danseur Jackson Carroll, très présent dans le spectacle, déborde pourtant d’élégance dans ses mouvements et d'érotisme dans ses scènes les plus licencieuses (accompagné par Gleb Lyamenkoff et Fabio Prieto Bonilla, qui montrent eux aussi leur flexibilité avec un jeu passionné et fort).
Jurjen Hempel, dirige minutieusement l’Orchestre National Avignon-Provence et celui de l’Opéra de Toulon en renfort. D'une grande attention envers le plateau, chaque respiration et chaque départ sont précis, détaillés, ne laissant rien au hasard.
La soprano russe Elena Bezgodkova incarne une version mature mais très dubitative de Lisa : amoureuse mais hésitante face à Hermann. Son jeu est assuré et convaincant, montrant son expérience et sa sûreté, et elle impressionne également grâce à sa voix puissante et mélodieuse, colorée jusque dans les aigus bien soutenus. La mezzo-soprano Marie-Ange Todorovitch assure le rôle de la Comtesse avec un caractère terrifiant qui s’impose et capte le public à chacune de ses interventions. Elle sait se montrer troublée face à cette mort qu’elle voit arriver de loin, mais aussi sensuelle, juste avant sa mort, le tout d’une voix chaude et large, avec la noblesse du timbre qui convient pleinement à son personnage.
La mezzo Marion Lebègue séduit le public grâce à sa candeur et sa suavité au service de ses personnages (Pauline et Milovzor). Elle présente une voix chaude, claire et voluptueuse. Svetlana Lifar joue Macha et la Gouvernante, trouble-fête, mais sachant aussi se montrer comique et gaie, lorsqu’elle fait rire le public en déployant tout son rythme et ses pas de danse. Ses graves bien soutenus et la largeur de son mezzo lui confèrent une présence imposante sur scène. Anne-Marie Calloni (Prilepa) montre une voix fruitée et claire, avec une projection qui lui permet de remplir la salle sans difficulté.
Le ténor irlandais Aaron Cawley incarne Hermann avec la passion d'une voix fougueuse, expressive et puissante. Sa projection lui suffit largement pour remplir la salle, surtout dans ses aigus d'une belle tenue. Son jeu d’acteur résonne avec la puissance de sa voix, dans un caractère d'emblée très vigoureux et joueur lorsque la scène le requiert. Son rival, le Prince Yeletsky, est interprété par le baryton roumain Serban Vasile, d'une voix chaude avec des aigus faciles et ardents, débordant d’élégance et de passion amoureuse. Alik Abdukayumov en comte Tomski (également Zlatogor) fait montre d’une voix homogène, de graves charnus et d’un aigu long et bien soutenu. Christophe Poncet de Solages se montre à l’aise dans ses deux rôles (Tchaplitski et Maître des Cérémonies) avec la projection d'une voix claire et pincée. Tout comme Guy Bonfiglio dans son rôle de Naroumov, qu’il interprète avec une voix bien soutenue, précise et qui sait se faire remarquer par moments. Le ténor Carl Ghazarossian interprète Tchekalinski avec une voix perçante et lumineuse. Enfin, la basse géorgienne Nika Guliashvili impressionne le public dès les premières notes de Sourine grâce à ses graves caverneux et à une projection qui transporte sa voix tout au fond de la salle.
Les Chœurs de l’Opéra Grand Avignon et de l’Opéra de Toulon sont d'une musicalité constante et sans failles avec une puissance vocale éblouissante. La Maîtrise de l’Opéra d’Avignon accompagne également l'entrain de cette prestation, longuement applaudie par le public.