West Side Story à grand spectacle à Strasbourg
Pour clore la saison lyrique de l’Opéra du Rhin (avant Trouble in Tahiti du même Bernstein par l’Opera Studio), Alain Perroux propose à son public la production venue de Berlin de West Side Story par Barrie Kosky, en duo avec le chorégraphe Otto Pichler. De fait, la chorégraphie tient une place prépondérante dans cette comédie musicale, et dans cette mise en scène en particulier. En effet, le plateau vide, doté d’une tournette sur laquelle sont parfois placés un lit (pour la chambre de Maria) ou un étal de fruits (pour la boutique de Doc), n’est habillé que « de la lumière et des corps humains » (selon la note d’intention). Les éclairages de Franck Evin sculptent les espaces, dessinent les ambiances, stimulent l’imaginaire. Des cintres descendent des dizaines de boules à facettes pour la fête de l’acte I, qui peignent dans la salle les étoiles qui brillent dans les yeux (et résonnent dans les paroles) de Tony et Maria au moment de leur coup de foudre, ainsi qu’un balcon, référence à Roméo et Juliette, qui inspira l’œuvre à ses créateurs. Le rêve brisé d’une vie meilleure est figuré avec poésie par deux versions âgées de Tony et Maria. L’attention accordée au silence apporte également son lot d’émotions, exaltant le jeu muet des protagonistes.
Les chorégraphies relèvent de la prouesse tant elles requièrent de leurs interprètes tonicité et énergie (la sonorisation capte d’ailleurs régulièrement le bruit de la respiration des danseurs). Reflet du conflit qui se joue, les mouvements sont souvent violents et virils, s'approchant parfois de véritables cascades, pour les hommes comme pour les femmes : les protagonistes se castagnent au rythme des woodblocks et du xylophone dans des mouvements très synchronisés. Surtout, les danseurs sont appelés à jouer la comédie et à chanter, offrant une performance complète. Tous se montrent justes dans leurs intentions scéniques, laissant fuser leurs répliques à un rythme étourdissant.
Madison Nonoa, interprète de Maria dont la participation aux chorégraphies est limitée, est la seule interprète venue du chant lyrique, et cela s’entend. Sa voix est bien posée, son chant articulé et son timbre sucré vibrent avec légèreté. Elle nuance son chant avec musicalité, depuis des médiums charnus jusque vers des aigus éthérés. Tout juste pourrait-elle gagner encore en ampleur et donner plus de souffle à ses phrasés.
Tous les autres interprètes ont des techniques vocales propres à la comédie musicale (et souvent les tics qui y sont associés), appuyant leur voix sur leur micro plus que sur leur diaphragme. Mike Schwitter interprète Tony d’un ténor clair au vibrato rapide et appuyé, au timbre doux, notamment dans l’aigu. Ainsi, si sa voix s’accorde à son jeu centré sur le caractère de jeune premier de son personnage, il fait varier la densité de sa projection vocale pour donner du relief à son chant.
En Anita, Amber Kennedy danse avec précision et vigueur, et propose un jeu bouleversant. Son chant, malgré un timbre sombre et sensuel, reste en revanche haché, les lignes vocales peinant à trouver leur assise, ce qui cause parfois des écarts de justesse. Bart Aerts, qui interprète Riff, ne dispose que d’un acte pour se mettre en avant, mais il enchaine pendant près d’1h30 danse, chant (jonglerie) et comédie à un rythme très soutenu. Sa voix rauque et sombre est émise avec facilité et une belle gestion du souffle.
David Charles Abell, présenté par Alain Perroux (dans son interview de présentation de saison) comme un disciple de Bernstein, dirige l’Orchestre Symphonique de Mulhouse d’une gestique flegmatique, aux gestes courts et secs, mais précis. Au fur et à mesure que l’orchestre se chauffe, il extériorise davantage sa passion, esquissant quelques mouvements de danse, calés sur les rythmes ternaires de la batterie, des contrebasses et des cuivres.
La salle (archipleine) offre 10 minutes d’applaudissement à la troupe de ce West Side Story, le parterre se levant tandis que des hourras pleuvent des balcons.