Le Barbier de Barbera et d'un barbon, jamais barbant à Bastille
L'Ouverture orchestrale est particulièrement lumineuse ce soir, non seulement grâce aux couleurs des musiciens en fosse mais également, et littéralement, car la lumière reste étonnamment allumée en salle. Allumée mais légèrement tamisée, là aussi comme l'orchestre qui conservera une nuance globalement ténue et une douceur de timbre constamment tenue (ne suivant pas la fougue du chef Roberto Abbado dans les acmés mais son élégance et souplesse de phrasés constantes à travers les nombreux changements de rythmiques, le tout mettant particulièrement en valeur les voix généreuses des solistes).
La lumière, après quelques clignotements et une tentative subreptice de diminuendo (provoquant à l'inverse un petit surcroît de clarté) s'éteint finalement à temps pour le lever de rideau, assurant au décor (de Paolo Fantin) son plein effet. L'intrigue se déroule bien en Espagne mais celle d'Almodóvar, au pied d'un grand immeuble (façon La Vie mode d'emploi ou Une journée particulière mais version opera buffa).
La partie centrale de l'immeuble tourne même pour dévoiler l'intérieur des appartements, où les habitants vaquent à leurs occupations, entre tâches ménagères, gymnastique devant la télévision, scènes de ménage en cuisine et réconciliations sur l'oreiller. Le dynamisme de tout ce petit monde se retrouve aussi dans le jeu et le chant, très impliqués. Les Chœurs maison s'amusent à imiter les fanfares et projettent des voix sonores et accentuées (un peu pris par l'enthousiasme sur le champ de la synchronisation harmonique).
Armando Noguera entre "piano, pianissimo" comme le chante son personnage de Fiorello en ouverture de cet opéra, dolcissimo même, en harmonie avec l'orchestre mais sachant comme ses autres camarades solistes déployer des accents vocaux substantiels et (im)pertinents.
René Barbera qui brillait déjà en Comte dans cette production in loco en 2014 et en 2018, commence lui aussi en douceur, mais déjà avec une intensité de timbre et des couleurs solaires, et pour mieux s'élancer dès le premier grand phrasé vers une projection bel cantiste (avec des aigus aussi bien décochés que les petits cailloux qu'il lance sur les volets de Rosine). Les couleurs méditerranéennes (quoique modernes) de ce plateau se retrouvent dans sa voix, même pour les transitions de funambule -retombant sur ses pieds- et l'intensité de ses sommets tenus. Le public l'applaudit tant et si bien qu'il le fait saluer, par deux fois, avant même la fin de la partition.
Renato Girolami (l'un des trois solistes à faire ce soir ses débuts à l'Opéra de Paris) est ici un vieux barbon Bartolo bouffe à souhait, avec son caractère bourru et sa voix ample, généreuse, sombre mais rebondie comme il faut pour le style (et blanche de rage lorsqu'il est dupé). Il a toutefois tendance à disparaître dans les passages rapides, mais il réjouit l'auditoire par son habileté à passer en voix de falsetto dans les passages en parodia buffa.
Leur Barbier Figaro, Andrzej Filończyk, fait forte impression dès son entrée, entonnant le fameux Largo al factotum en roulant des mécaniques. À l'opposé du serviteur, il est ici un grand séducteur en costume de dandy italien, a fortiori face au comte et au peuple en tenues de plagistes (un renversement des classes dans la tradition de Beaumarchais et Marivaux). Très à l'aise vocalement et scéniquement, il se promène entre les registres comme il monte aux étages de cette maison, résolvant les mots croisés du gardien au rez-de-chaussée, avant de réunir des amants au premier étage, de sauver un plat fumant dans le four, sans oublier de redescendre embêter Bartolo pour mieux monter jusqu'à la chambre de bonne (y montrant qu'il est bien moins intéressé par les barbes que par les bigoudis). Le récent Lescaut à Bastille également assume pleinement le rythme effréné de ses interventions, au point que l'Orchestre est visiblement étonné de ne pas avoir à ralentir.
Aigul Akhmetshina débute à l'Opéra de Paris (comme débutera Emily D'Angelo en alternance dans ce rôle de Rosine). Très à l'aise dans les graves, elle y plonge avec autant d'intensité qu'elle monte vers des aigus puissamment vibrés, à peine moins larges. Son médium aigu allie ces deux qualités, de velouté et de brillance (sans excès de décibels).
Si Rosine sait être vipérine comme elle le chante, le Basilio d'Alex Esposito se fait serpent sssifflant les "s" de son air de Calomnie, dans une lumière verte (comme le serpent et la jalousie) tout en distribuant et faisant tomber du ciel des journaux qui crient au scandale contre Almaviva. Sa mâchoire carnassière sait siffler et souffler la rumeur mais aussi la faire tonner comme le coup de canon avec un volume contrôlé et des reprises de souffle, mais la tenue d'un timbre de métal.
Également pour ses débuts maison, Katherine Broderick (Berta) est une voix de caractère, très vibrée (parfois jusqu'à trembler), piquante d'accents notamment dans les aigus mais rendant ses phrasés intermittents, malgré un timbre opulent (mais qui s'estompe aussi parfois).
Enfin, Christian Rodrigue Moungoungou campe un officier à la voix à la fois sombre dans le grave et projetée vers l'aigu.
Le public applaudit très chaleureusement tous les artistes et lance des bravi avant d'offrir au spectacle une ovation debout.