Ba-ta-clan à Vichy, “chinoiseries” en folie
Fondée il y a cinq ans désormais du nom d'un ancien hôtel particulier bâti au début du siècle dernier, la Villa Marguerite est une jeune institution qui, sous l’impulsion de Fleur et Sylvain Mino (elle est soprano, lui tubiste à l’Orchestre des Siècles de François-Xavier Roth), entend promouvoir l’art du chant dans toute sa splendeur, de l’opéra à la variété en passant par l’art lyrique. Bien implantée désormais dans la sphère culturelle vichyssoise, la Villa a entamé depuis trois ans un cycle Offenbach, avec d’abord le savoureux Monsieur Choufleuri, puis L'Île de Tulipatan dont la crise sanitaire avait hélas stoppé net les représentations l’an passé.
Cette fois-ci, c’est la partition de Ba-ta-clan qui reprend vie, cette “chinoiserie” du maître de l'opérette dont l’histoire est simple comme “nĭhǎo” (bonjour, en mandarin). Tous deux faits prisonniers en “Che-i-noor”, un lointain royaume de langue chinoise, par l’impitoyable (mais pourtant si bouffon) roi Fé-ni-han et son garde Ko-ko-ri-ko, Virginie Durand, “chanteuse lyrique venue initier les Chinois au grand répertoire”, et Alfred De Cerisy, “ex-funambule et acteur de pantomime”, se découvrent un point commun : il sont français. Sous leurs noms chinois de Fé-han-nich-ton et Ke-ki-ka-ko, tous deux vont mener une révolte et un projet d’évasion avec d’autant plus de succès que leur joyeux bourreau leur apprend qu’il est lui aussi français... et lui aussi nostalgique de son beau pays et de sa ville d’origine de Brive-la-Gaillarde !
Ainsi, une heure durant, quiproquos et dialogues désopilants s’enchaînent dans cette salle de concert que constitue le salon de la Villa aux bois et moulures remarquables, où l’espace est judicieusement occupé par la mise en scène du ténor Flannan Obé. Sobre mais efficace et très visuelle, celle-ci fait notamment apparaître une petite estrade sur laquelle est dressé un luxueux fauteuil qui constitue le trône du roi. Ce dernier est séparé de ses deux prisonniers par un paravent aux couleurs rouge vif, l’espace de la détention étant figuré par des coussins posés au sol, comme pour montrer de spartiates conditions. Le reste repose sur les somptueux costumes dessinés et élaborés par une costumière vichyssoise, Anne Chevrel, qui a elle-même créé des coiffes, toques et capes mêlant réalisme et cocasserie, le tout imposant sans difficulté et non sans esthétisme une ambiance de Chine aux manières si impériales qu’elles n’en deviennent parfois que plus comiques. Un effet comique renforcé par quelques chansons de variétés ici ajoutées, tel cet amusant “Ah les petits pois”, popularisé par le chansonnier Charles Armand Ménard, alias Dranem, au début du siècle dernier, ou encore “La Tonkinoise”, qu’avaient notamment repris Maurice Chevalier et Joséphine Baker en leurs temps.
Un quatuor porté par un même entrain
Déjà entendue en récital lyrique à l’Opéra de Vichy en décembre dernier (notre compte-rendu), Fleur Mino incarne le rôle de Fé-han-nich-ton avec toute la fraîcheur vocale et l’enjouement scénique dont elle est coutumière. Le soprano est léger et dynamique, la voix sonne avec d’agréables ondulations, avec l’engament mis dans l’incarnation d’une parisienne maniérée, un peu perdue lorsqu’elle est en de lointaines contrées. Son partenaire de réclusion, Ke-ki-ka-ko, est campé par Flannan Obé, qui déploie un chant sonore aux appuis solides, notamment dans des aigus bien portés, le tout étant lustré par une diction dynamique où les "r" sont gaiement roulés. Le chanteur se distingue aussi par un sens affirmé de la comédie et de la facétie, jouant avec malice et délice son rôle de parisien moins sot que fat qui entend mener la révolution à coup de cor de chasse dont il ne sait même pas jouer. Rire garanti ! Le ténor franco-américain Scott Emerson incarne quant à lui un savoureux roi Fé-ni-han, portant des pantoufles d’un rouge immanquable et ronflant à en faire trembler les murs, le tout nanti d’une performance vocale de belle et sonore tenue, et d’un sens de la bouffonnerie là aussi particulièrement développé. Enfin, jouant à la fois du tambour et du piano, Lionel Losada est un tordant Ko-ko-ri-ko, avec une voix de ténor large et assurée ici placée au service d’une autorité qui vire surtout au vrai burlesque.
L'accueil chaleureux du public doit aussi beaucoup à la complicité affichée par tous ces artistes aux talents multiples.