Piquante Première du Barbier de Séville au Capitole de Toulouse
Le rideau s’ouvre sur un décor insolite : une rue entre deux bâtiments ornés de piquants de cactus. Côté cour, scintille l’enseigne d’une maison close. Côté jardin, les balcons de Bartolo. Des figurants vont et viennent : prostituées, prêtres, ouvriers, mariachis…, qui s’interpellent joyeusement tout au long de l’opéra. C’est la Séville fantaisiste imaginée par Josef Ernst Köpplinger et ses collègues, Johannes Leiacker aux décors, Alfred Mayerhofer aux costumes, Michael Heidinger aux lumières. Plus loin, le plateau pivotant révèle un intérieur bigarré sur deux étages. L’espace de jeu est ainsi démultiplié, invitant les interprètes à de grands déplacements. La scène est fréquemment en mouvement, passant de l’intérieur à l’extérieur. Le ton est ainsi donné d’emblée dans cette grande coproduction (entre Toulouse, Munich et Barcelone, différente de la version signée par le même metteur en scène à Tokyo déjà avec Florian Sempey) : une mise en scène extravagante, volontiers grivoise, mais toujours vive et pleine de piquant (avec le cactus en leitmotiv), grâce aussi à la direction musicale énergique du chef Attilio Cremonesi. Jamais guindé, il accorde même quelques moments de rubato (libertés rythmiques) à ses violons dès l’Ouverture. L'Orchestre national du Capitole joue ainsi de manière vive, avec une ampleur symphonique dépassant son effectif. Le Chœur du Capitole (préparé par Gabriel Bourgoin) est bien présent avec un équilibre notable entre les voix d'hommes.
Edwin Fardini entre le premier sur scène dans le rôle de Fiorello. Sa voix chaleureuse a toutefois tendance à se fondre parmi celles des choristes du Capitole, mais son timbre effacé ne l'empêche pas d'interagir avec le collectif. Le ténor Kevin Amiel prête au Comte Almaviva ses accents fougueux et son timbre juvénile (il a cependant besoin d’un temps de chauffe). Sa voix sonne un peu serrée sur la première sérénade, mais il exécute les vocalises avec soin. Par la suite, il lance des aigus nets et sonores, attaqués avec un léger appui. Il sait aussi faire rire le public avec son personnage de professeur de musique, minaudant pour endormir la méfiance de Bartolo.
Un éclat de rire accueille également l’entrée en scène de Figaro klaxonnant au volant d’une vespa : Florian Sempey confirme sa maîtrise du rôle. Tout au long de l’opéra, il fait montre de sa virtuosité, vocalisant avec aisance, rajoutant des ornementations, lançant des aigus puissants qui emplissent la salle. Il sait varier les couleurs de sa voix, tantôt couverte, tantôt éclatante avec ce timbre cuivré (qui semble annoncer des rôles verdiens). Toujours très appliqué, il reste sérieux dans son cabotinage. Quelques accents un peu véhéments pourraient lui être reprochés parfois, mais ils sont dans le ton de son personnage et ne semblent pas mettre la voix en danger. Sa complicité est notable avec Eva Zaïcik, Rosina au timbre chaud et gracieux, soigneuse dans sa diction et très expressive. Sa longue tenue de souffle lui permet de vocaliser avec facilité, passant du médium au grave ou à l’aigu avec des glissandi caressants : ses airs sont également salués par des acclamations.
Le public fait également un bon accueil au Bartolo du baryton-basse italien Paolo Bordogna. Bien que sa voix ne soit pas la plus puissante du plateau, il se démarque par sa souplesse vocale et son vibrato serré, élégant (dans la lignée d’Enzo Dara), ainsi que par son aisance scénique, assumant le comique du personnage sans jamais tomber dans le ridicule. À ses côtés, Roberto Scandiuzzi impose le respect en Basilio, de sa voix sonore de basse profonde. Plus bonhomme que menaçant, il livre son Air de la Calomnie d’une manière rapide et bien en place, incluant les figurants dans son jeu.
La mise en scène confère une nouvelle dimension au personnage de Berta, la gouvernante : elle est en cachette la mère souteneuse du lupanar. Andreea Soare lui prête sa voix de soprano légère, agile sur les vocalises dont elle orne son air. Bruno Vincent fait une intervention pleine d’autorité en chef de la garde, interpelant Almaviva d’une voix sèche mais puissante. Enfin, Ambrogio est ici confié au comédien Frank Berg, impassible serviteur vaquant à ses activités au second plan. Il intervient pour distribuer des tasses de café aux chanteurs dans le finale du premier acte, soulignant ainsi l’entrée de leurs voix.
Le public salue avec enthousiasme la performance des chanteurs, le dynamisme de l’orchestre et l’originalité de la mise en scène : faisant espérer un accueil semblable pour la seconde distribution le lendemain (compte-rendu à retrouver sur nos colonnes).