Amour, rage et beauté d'Acis et Galatée à la Maison de la Radio
C’est avec sa sympathie naturelle et habituelle que le maestro argentin Leonardo García Alarcón accueille le public de l’Auditorium de Radio France et présente, ici encore, brièvement, l’œuvre qu’il interprète ce soir avec des musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Reprenant à Ovide le mythe d’Acis et Galatée (qu’il avait déjà exploité pour une cantate créée en 1708 à Naples), Georg Friedrich Haendel compose en 1718 un masque –genre lyrique anglais– pour son mécène, le Duc de Chandos.
Pour incarner la charmante Galatée, parangon quasi idéalisé de l’amour, la jeune Julie Roset déploie la fraîcheur et la légèreté de sa voix, particulièrement dans les vocalises subtiles (presque candides au premier acte). Si la voix manque parfois un peu de corps, le timbre trouve une couleur mâte au second acte, lorsque les premiers émois laissent place à la douleur face à la perte de l’être aimé. Celui-ci est Acis, le jeune berger, interprété par Mark Milhofer. Le ténor britannique dresse son portrait avec une bravoure l'éloignant encore de l’adolescent, mais pour autant sa voix présente et pleine quel que soit le registre, ses aigus sans aucune tension tout comme ses graves assez moelleux ne cessent d'impressionner. Son assurance vocale ne le porte toutefois pas toujours vers des phrasés subtils et souples, ni vers une brillance du timbre.
Tandis que Galatée et Acis se réjouissent en un gai et dansant duo, déjà le terrible cyclope Polyphème sort de son antre. La basse suédoise Staffan Liljas semble prendre un grand plaisir à jouer ce méchant amoureux et jaloux, autant "scéniquement" que vocalement. Il lui prête ainsi sa voix sombre, volontairement fougueuse et même dépourvue de finesse. Sa diction fascine autant que les contrastes avec l'accompagnement flûté (renforçant les passions contrastées de cet opus chantant "Torture! fury! rage! despair!" où la rage épouse le miel).
Les amis sont souvent de bon conseil, mais rarement écoutés pour ce qui concerne Damon et Coridon. Le premier, berger ami d’Acis, est interprété par le ténor Valerio Contaldo, pleinement investi –presque trop lors des ensembles– avec la fierté d'un timbre chaleureux. Les intentions de son timbre, de ses nuances contrastées et de son jeu lui permettent de donner à ce personnage secondaire une certaine prestance, conduite avec souplesse et expressivité (bien que les lignes soient parfois légèrement mises à mal dans leur stabilité). Fabio Trümpy dote le cyclope Coridon de l'élégance de son timbre et de sa stature, avec une présence retenue mais expressive, extrêmement douce (presque trop, mais de quoi raviver l'intérêt de son air soliste).
Ces deux voix se joignent notamment aux trois autres chanteurs dans les chœurs : à commencer par la lumineuse soprano Ana Vieira Leite, attentionnée envers son vibrato doux et équilibré. Leandro Marziotte apporte la juste coloration de la partie d’alto, fonctionnelle mais essentielle. La basse Matthieu Heim manque hélas de présence et même d’assurance, particulièrement lorsque les extrêmes de sa tessiture sont sollicités (tous montrent toutefois des difficultés dans les parties les plus rapides).
Le chef Leonardo García Alarcón reste soucieux des conduites et des couleurs de chaque phrasé. Les 21 musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France l'y suivent avec la vivacité d’un timbre collectif, défini et léger. Quelques courts moments manquent un peu d'homogénéité ou de réactivité face aux changements de tempi, sans pour autant porter atteinte aux effets bucoliques de ce mini-opéra. Acteur actif de ces figuralismes, le hautboïste Olivier Doise est fort (justement) applaudi par le public.
Ravi de cette charmante soirée, le public exprime sa satisfaction en d’heureux applaudissements, destinés aux artistes tout aussi souriants.