Oya Kephale, en 2022 : c'est Barbe-Bleue
Après trois années d’absence à cause de la pandémie, la troupe Oya Kephale revient au Théâtre Armande Béjart d'Asnières, transformée et agrandie. Laëtitia Trouvé, qui avait fait ses adieux avec La Périchole (2019) a été remplacée par le chef Pierre Boudeville dont c’est ce soir un baptême du feu après La Vie Parisienne prévue en 2020 puis reportée en 2021 mais qui n'a jamais vu le jour.
Si la couleur de l’Orchestre Oya Kephale manque parfois d’homogénéité, la complicité et les qualités de cette phalange majoritairement composée d’instrumentistes amateurs se fait vite sentir, notamment dans les scènes de fins d’actes, équilibrées et allantes, très applaudies par le public. Les tempi choisis communiquent entrain et gaité sans jamais verser dans la précipitation ou la lourdeur. La direction sait aussi se faire plus sombre (lorsque Barbe Bleue annonce la mort de Boulotte, par exemple) mais ne fait jamais le choix du lyrisme, ce qui aurait apporté à certains passages une profondeur bienvenue.
Dans le rôle-titre, Thierry Mallet déploie sa voix franche, claire, qui s’étend sans peine dans un registre aigu mixte et brillant. Le chanteur a pour lui un visage expressif, tour à tour sévère ou colérique, qui convient tout à fait aux calculs malsains et capricieux du personnage. Sa dégaine menaçante et mâle suffit à l’imposer dans les scènes de foules. À ses côtés, la Boulotte de Sarah Koscinski séduit par son aisance scénique, sa générosité et son enthousiasme. Si la voix est moins lyrique que celle de son tueur en série de mari, et si certains passages de la partition la mettent en péril, elle parvient à tirer son épingle du jeu à l’image de son personnage, dont l’irrévérence et l’audace font mouche à chaque fois. Constance Gourlet (Fleurette/Hermia) surprend par son jeu à la fois gauche et téméraire, timide et outrancier, sensible et frivole (évoluant tout au long de la soirée) et par son timbre, charnu et rond, dessinant gracieusement sa personnalité plurielle. À ses côtés, le ténor Benoît Valentin apporte à Saphir une voix ronde, blanche et ensoleillée, à l’image du personnage ingénu et fidèle qu’il endosse, s'attirant un fort capital sympathie.
Béatrice Noiset et Thibaud Mercier, respectivement la Reine Clémentine et le roi Bobèche, forment un couple qui prend l’eau mais dont le traitement ne verse jamais vraiment dans la facilité. La première offre à entendre une voix souple et douce, agile et évidente comme ses répliques parlées, le second possède un timbre dur et claironnant, seyant aux caprices cyniques du roi. Marcel Courau est un Popolani comique à souhait, plein de ressources et de subtilité dans la caractérisation de son personnage dont le public accueille les apparitions avec un plaisir manifeste. La voix sombre et un brin glottique manque parfois de précision mais jamais d’expressivité.
Nicolas Hocquemiller, son acolyte, propose un Comte Oscar séduisant et futé, dont la voix noire s’accommode sans peine de ses répliques, chantées comme parlées. Les cinq femmes de Barbe bleue, Héloïse (Madeleine Prunel), Éléonore (Myriam Baconin), Isaure (Marguerite Brault), Rosalinde (Solenne de Carné) et Blanche (Mathilde Colas) forment un quintette détonnant, aux couleurs claires et brillantes, qui participe activement à la musicalité de l’ensemble, notamment lorsqu’elles sont révélées par Popolani à Boulotte.
Le Chœur Oya Kephale, enfin, offre un son homogène, puissant et expressif. Son implication dans l’action permet, de plus, la caractérisation de chaque membre avec équilibre scénique et crédibilité.
La mise en espace et les costumes, proposés par Anne-Joëlle Fleury (dont il s'agit de la première mise en scène intégrale) et Angélique du Chazaud (assistante à la scénographie), dresse l’ambiance garçonne de Barbe Bleue et de ses complices, des costumes BCBG de ses femmes enfermées, de la tenue yéyé de Popolani ou de l’arrivée des gitans baba-cool lors du dernier acte. L’ensemble conserve une cohérence et une énergie qui en font un spectacle réjouissant le public, le jeu d’acteur participant activement à cette énergie, ne cédant ni à la facilité ni au systématisme, et ne perdant jamais le rythme si caractéristique de l’opérette.
Le public, au rendez-vous, applaudit vigoureusement les artistes et tout le travail conséquent accompli par la troupe (tout en se demandant déjà, en sortant du théâtre, quelle sera l'œuvre choisie en 2023).