Fidelio en Forces Féminines à BOZAR
La féminité puissante et libre, courageuse et persévérante résonne pleinement dans la modernité de cet (unique) opéra composé par Beethoven et dans la direction musicale ici offerte. Laurence Equilbey dirige cette partition avec une puissance parfois martiale, mais modelée d'une rigueur et d'une souplesse qui semblent tout aussi implacables : à l'image de cet opus dont l’héroïne est une femme, qui se déguise en homme pour sauver son mari injustement incarcéré.
Cette production ainsi dévoilée en Belgique est bien signée David Bobée à la mise en scène, mais trouvera vraisemblablement sa vraie mesure la semaine prochaine à La Seine Musicale : la Salle Henry Le Bœuf n’ayant pas la taille des scènes opératiques, l'Orchestre est ici en format concert (au centre de la scène, devant le grand orgue). Les costumes sont toutefois déjà ajustés, des guenilles et habits gris des geôliers (ainsi que des chaînes de métal rouillé) représentant le système carcéral, rehaussé également avec la direction d'acteurs, déjà bel et bien présente par la vivacité de jeu des solistes (qui ne se ménagent en rien). David Bobée poursuit ainsi son travail d'une forme de minimalisme, ou au moins de l'expressivité du moindre élément en mettant en lumière la force d’interprétation des solistes, comme il avait pu le montrer en 2018 avec La Nonne sanglante (déjà avec Laurence Equilbey, Insula Orchestra et le Chœur accentus).
Sinéad Campbell-Wallace en Léonore marque par sa force de caractère et sa grande versatilité. La soprano qui sait donner la richesse vocale requise mais aussi alléger la tessiture pour traduire son aspiration à la liberté, offre des aigus chauds et pourtant limpides et véloces, des graves profonds et amples. La souplesse de sa diction allemande s'allie à son aisance de jeu, tant dans les parties chantées que parlées (pour ce Singspiel). Égale dans le jeu, Hélène Carpentier campe une Marzelline légère et sensible. Les aigus puissants, limpides et clairs de la soprano sont expressifs, marqués d’une souple ondulation, le souffle allant et venant avec grâce. Elle reste sincère dans le jeu, constante et très maitrisée.
Christian Immler de son côté incarne la puissante maîtrise du geôlier Rocco. Altier, noble et réfléchi, l’interprète offre une diction modèle dans sa langue natale, au service de la précision du texte. Le jeu sonne, naturel et détaché. Le viennois Sebastian Holecek réussit à rythmer l’opus de sa simple présence. Son baryton, abyssal et puissant campe un Don Pizarro autoritaire, imposant et acerbe. La voix se déploie sans hésiter dans les graves, et le jeu se fait ultra-énergique. Bien plus en retrait, Stanislas de Barbeyrac dans le rôle de mari emprisonné compense par un excès de théâtralité que vient pourtant rassurer la voix de ténor. Sa très grande sensibilité vocale, notamment dans les aigus qui s’offrent très clairs, soutient le potentiel d'un développement vers le tragique, mais ne perce pas la retenue de son personnage (victime, à l'opposé total de son épouse).
Le ténor Patrick Grahl (Jacquino) a la voix et le phrasé seyant au Singspiel, expressif et théâtral tout autant que vif, et même drôle et survolté. Dernière figure et apparition, Don Fernando vient libérer les protagonistes de leur enfer carcéral. Drapé de blanc, royal et puissant, Anas Séguin marque sa voix par une austérité princière et puissante. Le timbre chaud et boisé vient ainsi nourrir la distribution avec précision.
Accompagnant les solistes sur scène, le Chœur accentus (préparé par Marc Korovitch) marque par sa finesse et légèreté d’interprétation. Les airs choraux sonnent très clairs, homogènes et d'une rigueur à la mesure de la direction.
La salle applaudit chaleureusement cette soirée de 2h30 sans entracte qui ne faiblit jamais, rythmée par les ponctuations de la musique et d'un jeu intransigeant, mais parfois aussi souriant.