Stefano Pace : "ouvrir plus encore l’Opéra Royal de Wallonie-Liège à l’international"
Stefano Pace, vous avez pris la direction de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège en début de saison suite à la disparition de Stefano Mazzonis di Pralafera. Quels enseignements tirez-vous de cette première saison à la tête de l’institution ?
Cette première saison confirme ce que je savais déjà sur l’Opéra de Liège : il est animé par une équipe très compétente, dévouée et enthousiaste. J’ai l’impression d’y travailler depuis bien plus longtemps. L’entrée en matière a été très facile et agréable, malgré le Covid qui a été très actif.
Vous indiquiez il y a quelques mois vouloir apporter votre touche au travail déjà préparé par votre prédécesseur : en quoi votre patte sera-t-elle visible dans cette saison prochaine marquée par les nombreux reports liés à la crise du Covid ?
D’abord, ma patte peut se voir dans la manière dont on la présente puisque nous avons une nouvelle charte graphique et un nouveau logo. Les reports composent en effet presqu’une saison complète. Pourtant, cela reste une saison de nouveautés : les ouvrages présentés sont absents de nos programmations depuis 15 ans au minimum. J’ai pu ajouter deux projets qui me tenaient à cœur depuis longtemps : Adriana Lecouvreur et Dialogues des Carmélites. J’ai aussi décidé de proposer une nouvelle production d’un titre qui était déjà prévu : Les Lombards à la première croisade, qui n’a jamais été donné à l’Opéra de Liège et pour lequel une distribution importante avait été mobilisée. Le titre de cette saison sera « De différents regards », notamment parce qu’elle croise le regard de Stefano Mazzonis et le mien, mais aussi celui de tous ceux qui ont contribué à sa préparation et en assureront la réalisation. Cette saison donnera un avant-goût de ce que seront les quatre saisons qui suivront.
Quel impact ces nombreux reports ont-ils sur le travail de vos ateliers ?
Les productions se sont arrêtées à différents stades : les décors de Lakmé n’étaient par exemple pas terminés, mais tant que les Ateliers ont pu rester ouverts, ils ne sont jamais restés inactifs. Et avec les trois nouvelles productions de la fin de saison, nous aurons largement de quoi occuper nos ateliers malgré ces reports.
Quelle est l’identité que vous souhaitez donner à l’Opéra de Liège ?
Je souhaite d’abord ouvrir plus encore l’Opéra à l’international, même si nous avons déjà la chance d’avoir un public phénoménal, dont une partie vient déjà de l’étranger, et qui nous permet de faire salle comble. En particulier, je souhaite ouvrir le répertoire à des ouvrages de nationalités plus diverses. Les distributions que j’avais à disposition ne me permettaient pas d’ouvrir cette saison à de nouveaux répertoires, c’est pourquoi la saison reste centrée sur les répertoires français et italiens, mais dès la saison 2023/2024, les ouvrages seront répartis en trois tiers : français, italien et autres. Je tiens aussi beaucoup à solliciter la commande de nouveaux opéras, et Liège restera aussi un lieu de reproposition de partitions rares. Nous aurons aussi à cœur de sortir de nos murs, en Belgique mais aussi à l’étranger : nous sommes actuellement en train de tisser ces projets et espérons pouvoir présenter ces directions l’an prochain. Nous préparons déjà les saisons jusqu’en 2025/2026, ce qui nous donne une plus grande visibilité pour préparer des projets de qualité avec des artistes importants.
La saison prochaine s’ouvrira avec Lakmé mise en scène par Davide Garattini Raimondi qui devait initialement se tenir en 2020 : à quoi ressemblera cette production ?
C’est une mise en scène intelligente, équilibrée et élégante, avec des images qui illustrent bien cette partition entre l’Occident et l’Orient exotique. Je connais bien l’équipe de production, pour lui avoir confié plusieurs productions à Trieste. Je m’attends à une réaction très positive de la part du public. De manière générale, la programmation que j’ai trouvée en arrivant se rapproche beaucoup de ma vision artistique et musicale : je ne la subis donc pas du tout.
À la direction musicale, Frédéric Chaslin remplace Patrick Davin, décédé depuis, à la tête d’une distribution qui est pour le reste identique à celle qui aurait dû présenter l’œuvre en 2020, et comprend notamment Jodie Devos et Philippe Talbot, qu’il dirigeait il y a quelques semaines dans Mignon : qu’attendez-vous de cette équipe musicale ?
Il y aura aussi Lionel Lhote. Ce sera une très belle distribution. Jodie Devos a déjà illustré son talent ici : je suis ravi de la retrouver. De manière générale, la distribution est très équilibrée. Je suis certain que Frédéric Chaslin fera un travail formidable, comme il l’a montré sur Mignon. Cette production est idéale pour une ouverture de saison.
En octobre, vous présenterez Le Turc en Italie, qui fera son entrée au répertoire de la maison à cette occasion, dans une mise en scène de Fabrice Murgia qui devait initialement se tenir en janvier 2021. Comment décririez-vous l’univers de ce metteur en scène ?
C’est un univers réactualisé avec succès dans le milieu du cinéma. Fabrice Murgia n’est pas un provocateur. Le Turc en Italie est un opera-buffa qui offre beaucoup de matériel pour s’amuser : il est assez facile d’adapter cet opéra sans le dénaturer. Je ne suis pas pour la modernisation à tout prix des ouvrages : la dramaturgie doit le permettre. C’est le cas de ce Turc en Italie, dont j’ai été étonné d’apprendre à mon arrivée qu’il n’avait jamais été donné ici, car c’est un titre important. Je suis donc très heureux de pouvoir le faire découvrir à notre public. C’est un opéra très amusant, avec une musique pétillante. C’est un Rossini à voir.
Vous maintenez globalement la distribution initialement prévue. Comment décririez-vous le chef Giuseppe Finzi, qui dirigera Gianna Cañete Gallo, Guido Loconsolo et Bruno de Simone dans les rôles principaux ?
Giuseppe Finzi est un très bon chef que j’ai déjà rencontré et essayé d’engager quand j’étais à Trieste. Je n’avais pas réussi, donc je suis ravi de finalement collaborer avec lui à Liège. On connaît les qualités de Bruno de Simone qui sera sans doute un Don Geronio phénoménal. Je voudrais aussi citer nos chanteurs belges Pierre Doyen (Prodoscimo) et Julie Bailly (Zaida) : mettre en avant nos chanteurs nationaux fait partie des tâches que je veux poursuivre, en promouvant ceux que l’on connaît déjà, mais aussi en découvrant de nouveaux talents.
Comment comptez-vous découvrir ces nouveaux talents belges ?
Nous allons poursuivre le grand travail d’auditions que nous avons déjà débuté. Nous sommes également en lien avec les conservatoires, mais aussi avec la Chapelle Musicale Reine Elisabeth. L’objectif n’est pas seulement de donner des petits rôles, mais d’imaginer ce que pourra être le parcours de ces jeunes artistes afin de les accompagner vers des rôles de premier plan.
En novembre, vous jouerez enfin Alzira, œuvre qui tenait au cœur de votre prédécesseur et que le public va enfin pouvoir découvrir après son annulation en avril 2020. Comment décririez-vous cette œuvre ?
Je ne la connaissais pas avant d’arriver à Liège : c’est un ouvrage d’une extrême rareté. Cela posera d’ailleurs une difficulté si on devait avoir à remplacer un chanteur. J’ai écouté l’œuvre pour la première fois quand j’ai su que nous allions la donner ici. Ce n’est pas un ouvrage très facile, mais il n’a pas eu beaucoup de succès et Verdi lui-même ne l’aimait pas : il est intéressant de comprendre pourquoi. Même si le livret est un peu faible, il y a des pages musicales vraiment intéressantes, notamment dans la partition du soprano. Par ailleurs, l’œuvre soulève des thèmes qui restent très actuels. En tout cas, il est très positif de présenter une œuvre rare qui n’a jamais été vue dans notre Théâtre : le public jugera si l’œuvre a été oubliée justement ou injustement.
Comment cette modernité que vous évoquez se ressentira-t-elle dans la mise en scène de Jean Pierre Gamarra ?
Cette mise en scène est à grands effets d’un point de vue visuel, et est vraiment très moderne dans son esthétique, qui est très raffinée. Le public peut toutefois se rassurer, la modernité ne s’exprime pas dans une banale réinterprétation.
Giampaolo Bisanti dirigera pour la première fois l’orchestre en tant que Directeur musical (alors que Gianluigi Gelmetti était prévu en 2020) : quels objectifs lui fixez-vous à ce poste ?
Je ne lui ai pas fixé d’objectif. Nous les avons fixés ensemble, de manière très constructive. C’est un grand travailleur : au-delà de ses capacités musicales et de son charisme qui sont bien connus, il m’a étonné par sa force de proposition. Il est déjà totalement investi dans la vie et la programmation de l’institution, mais aussi dans le travail pour améliorer encore le niveau musical de l’Orchestre et du Chœur. Il a d’ailleurs été immédiatement d’accord pour se présenter pour la première fois en tant que Directeur musical sur Alzira, qui n’a jamais été dirigée dans ce théâtre, et rarement dans d’autres.
Comment décririez-vous Hui He (Alzira), Luciano Ganci (Zamoro), Giovanni Meoni (Gusman), Luca Dall'Amico (Alvaro) qui mènent la distribution?
Ce sont des chanteurs solides qui ont de bonnes prédispositions pour le répertoire verdien. Luciano Ganci est un chanteur que j’aime particulièrement, qui viendra aussi pour Adriana Lecouvreur et que j’ai engagé plusieurs fois à Trieste. Il a une maturité remarquable. Dans l’ensemble, la distribution est là encore très équilibrée, y compris dans les rôles moins importants.
En novembre, vous proposez La Clémence de Titus en version concertante, avec une distribution exceptionnelle (John Osborn dans le rôle-titre, Cecilia Bartoli en Sesto, Fatma Said en Vitellia et Lea Desandre en Annio, sous la direction de Gianluca Capuano) : est-ce une forme que vous souhaitez développer ?
Il s’agit là d’une production que j’ai réussi à faire venir au dernier moment, car nous avions encore et heureusement la disponibilité pour l’accueillir. C’était une occasion unique d’avoir d’immenses artistes comme Cecilia Bartoli ou John Osborn. Je ne pouvais pas rater cette occasion, d’autant qu’avec ses nouvelles fonctions à la tête de l’Opéra de Monte-Carlo, je crains qu’il ne soit encore plus difficile de pouvoir trouver des périodes de disponibilité de Cecilia Bartoli pour d’autres projets. Cela s’est fait vraiment au dernier moment : il a même fallu revoir la maquette de la brochure de saison pour l’y introduire. Faire venir des artistes de cette importance fait vraiment partie de la direction que je souhaite donner à l’Opéra de Liège. En plus, La Clémence de Titus est un ouvrage vraiment intéressant que j’adore mais qui, pour des raisons d’équilibre, n’aurait pas trouvé de place de sitôt dans la programmation. Une version concert est intéressante si elle peut être donnée au plus haut niveau possible, dans le cas de certains ouvrages qui sont difficiles à monter en version scénique, ou pour faire venir des artistes qu’il est plus difficile d’avoir pour une production complète. Nous y réfléchissons avec Giampaolo Bisanti pour les saisons à venir. Ce sont aussi des occasions d’apporter de la diversité au travail de l’Orchestre et du Chœur (dans l’absolu, en effet : pour cette production spécifique, ce sont Les Musiciens du Prince-Monaco qui joueront, pas notre Orchestre).
En décembre, vous recevrez La Vie Parisienne mise en scène par Christian Lacroix, qui a déjà beaucoup tourné cette saison. Qu’en avez-vous pensé ?
Ce sont nos ateliers qui ont produit les décors et les costumes dans une coproduction avec l’un des plus grands théâtres français, le TCE, et le Palazzetto Bru Zane à Venise. Les ateliers étaient en cours de travail sur ce projet lorsque je suis arrivé, j’ai donc pu les voir. Cela confirmait la qualité de nos équipes. La production a déjà tourné, elle sera donc rodée. Elle a obtenu un succès incroyable au Théâtre des Champs-Elysées. Il y aura presque la même distribution [c’est Anne-Catherine Gillet qui interprètera Gabrielle, et le ténor Pierre Derhet interprètera quelques rôles également]. Ce sera un moment de délice pour notre public durant la période de Noël, où les productions légères et amusantes sont appréciées.
En janvier, c’est La Somnambule par Jaco van Dormael et Michèle Anne de Mey, qui aurait dû être jouée en mars 2020, qui trouvera son public : que pouvez-vous dire de la mise en scène ?
Cette production a été annulée après la générale en 2020, elle était donc tout à fait prête. C’est un spectacle très intéressant, bien réalisé, dans sa configuration dramaturgique et chorégraphique. Je pense que le public en sera surpris et émerveillé.
Nous aurons une très belle distribution, avec notamment Jessica Pratt et René Barbera qui sont deux immenses artistes que j’apprécie beaucoup. Je connais bien Jessica Pratt pour lui avoir déjà fait chanter Lucia di Lammermoor, tandis que j’ai essayé plusieurs fois d’engager René Barbera sans y être parvenu dans mes fonctions passées.
C’est toujours le Directeur musical de la maison qui dirige la production, mais il change de nom puisque Giampaolo Bisanti remplace Speranza Scappucci : pourquoi ce changement ?
Nous en avons discuté avec Speranza, qui est toujours la Directrice musicale jusqu’à la fin de cette saison. Pour elle aussi, des reports d’autres maisons d’opéra étaient prévus au même moment. Dès lors, nous nous sommes mis d’accord pour qu’elle reporte son engagement avec l’ORW sur Dialogues des Carmélites, titre que nous avons choisi ensemble et qu’elle avait vraiment envie de diriger. Nous avons d’ailleurs également composé la distribution conjointement.
Le mois de février permettra au public de découvrir Hamlet, initialement prévu en octobre 2020, dans la mise en scène de Cyril Teste créée à l’Opéra Comique. La distribution est reprise à l’identique : Guillaume Tourniaire dirigera Lionel Lhote dans le rôle-titre, Jodie Devos en Ophélie, Béatrice Uria-Monzon en Gertrude et Nicolas Testé en Claudius. À quoi vous attendez-vous ?
C’est une production riche. J’ai pu voir l’enregistrement qui a été capté à l’Opéra Comique. C’est une proposition très intéressante, avec une esthétique qui me convient tout à fait et qui plaira, je pense, à notre public. C’est un opéra qui est rarement donné : nous aurons la chance de le revoir après 66 ans d’absence à Liège. C’est un titre qui se positionne très bien à ce moment-là de la saison pour lancer une montée en puissance avec les trois titres qui suivent.
Justement, avril révèlera la première nouvelle production prévue pour cette saison : Adriana Lecouvreur. Comment présenteriez-vous cette œuvre ?
J’ai choisi ce titre. Nous avions déjà une distribution engagée pour cette période : j’ai pensé qu’Anna Pirozzi serait formidable dans le rôle d’Adriana et, sachant Luciano Ganci disponible pour chanter Maurizio, je n’ai pas hésité. J’avais déjà très sérieusement discuté du projet il y a quelques années avec Arnaud Bernard, mais nous n’avions alors pas pu le réaliser. C’est un ouvrage qui me plait beaucoup, le premier sur lequel j’ai travaillé quand je suis arrivé à Covent Garden. C’était donc la possibilité d’avoir une très belle nouvelle production, et il me semblait qu’il y avait encore des choses à dire sur cette œuvre. J’avais la possibilité d’engager Christopher Franklin qui est un chef que j’apprécie particulièrement. C’est un excellent musicien, qui sait conduire l’orchestre avec beaucoup de doigté et d’empathie. Il reste toujours calme et positif, même dans les situations les plus difficiles, et c’est une très belle personne. Je l’ai invité plusieurs fois à la tête de l’Orchestre de Trieste. Il m’avait notamment impressionné dans une production de Tristan et Isolde, qui avait d’ailleurs été saluée par la critique comme l’une des meilleures productions de l’année en Italie.
En mai, le public découvrira Les Lombards à la première croisade, qui devait être joué en avril 2021. Vous ne présenterez toutefois pas la production de votre prédécesseur, qui avait été créée à Turin en 2018, mais une nouvelle production de Sarah Schinasi : pourquoi ce choix ?
Le choix dramaturgique opéré par Stefano Mazzonis était une transformation de sa production de Jérusalem déjà présentée à Liège, dont il reprenait les décors et les costumes. Ce n’était donc pas vraiment une nouvelle production. J’ai considéré que personne d’autre que lui ne pouvait apporter cette continuité entre les deux ouvrages, qui donnait son sens à la production. J’ai donc décidé de proposer une vision différente. Les Lombards est un ouvrage très difficile à mettre en scène : on passe d’un lieu à l’autre avec beaucoup de rapidité. Le risque est de faire quelque chose de très daté et classique ou au contraire d’en faire une relecture trop moderne. Je connais bien Sarah Schinasi : elle a une vision très organisée et rigoureuse de la dramaturgie, très centrée sur les relations entre les personnages. Je n’ai pas encore reçu les maquettes de décors, mais je m’attends à un travail d’une grande clarté dramaturgique, compréhensible et cohérent, dépouillé d’accessoires poussiéreux, loin de toute actualisation facile et gratuite qui ont trop souvent pris ce bel ouvrage pour cible. Je m’attends à la surprise esthétique que je n’ai pas encore eue à une représentation d’I Lombardi.
Pouvez-vous présenter la distribution ?
Daniel Oren dirigera la production : c’est le répertoire dans lequel il excelle. Sa direction dans Rigoletto a été très appréciée du public. Il a atteint une maturité qui en fait aujourd’hui l’un des meilleurs chefs au monde. Nous allons admirer la manière dont il va permettre à la distribution de s’exprimer. On connaît bien le talent de Ramon Vargas qui chantera Oronte, Goderdzi Janelidze (Pagano) est aussi un très grand chanteur. Marco Ciaponi est encore un jeune ténor, mais très talentueux. Je l’ai connu très jeune et lui ai donné ses premiers rôles importants à Trieste. Bien sûr, Salome Jicia sera dans son élément dans ce répertoire.
Seconde nouvelle production pour finir la saison, vous présenterez Dialogues des Carmélites en juin, dans une nouvelle production de Marie Lambert-Le Bihan : comment décririez-vous son univers ?
J’ai connu Marie Lambert-Le Bihan comme assistante de David McVicar, que j’apprécie beaucoup et avec qui j’ai déjà travaillé sur beaucoup de productions : elle a baigné dans un univers mettant en avant la créativité et la nouveauté de regard. Marie Lambert avait fait une mise en espace de La Fille du Régiment ici : le moment était arrivé de lui donner sa chance. J’aime prendre le risque de donner leur chance à de jeunes metteurs en scène, comme d’autres ont pris le risque de me donner ma chance quand j’étais plus jeune, même à 19 ans. Cela tombe bien car il y a une nouvelle génération de metteurs en scène très intéressante dans laquelle puiser.
Dialogues des Carmélites est l’un de mes ouvrages préférés. J’avais travaillé sur une production de cet ouvrage à Rome dans les années 80. Il ne m’avait pas impressionné : je l’avais trouvé un peu ennuyeux. Cela devait être dû à la direction d’orchestre. Au Festival de Matsumoto, au Japon, j’ai ensuite travaillé sur la production de Francesca Zambello, avec la direction de Seiji Ozawa : j’ai alors vraiment découvert cette œuvre, et j’ai adoré. C’est l’un des opus de la saison qui a été représenté en dernier : il n’est absent sur la scène de Liège “que” depuis 19 ans. Il mérite d’être présenté aux nouvelles générations. Il s’agit d’une œuvre d’une grande spiritualité. L’univers visuel des Dialogues des Carmélites n’a pas besoin d’être trop bavard, il doit refléter la vie menée par ces religieuses, même si les images se doivent d’être fortes.
La distribution sera principalement francophone : est-ce important pour cette œuvre ?
En effet. Seule Eva-Maria Westbroek, qui chantera Madame Lidoine, ne l’est pas. C’est une artiste que j’apprécie et qui était disponible. Ce sera l’occasion aussi de découvrir de jeunes artistes que nous apprécions déjà même s’ils ne sont pas encore très connus, comme Alexandra Marcellier (Blanche de La Force) ou Sheva Tehoval en Constance, une artiste belge, comme l’est aussi Reinoud van Mechelen qui chantera le Chevalier de La Force. Ce sont des artistes qui ont de l’avenir et qui correspondent vraiment à ce que nous recherchions pour ces rôles. Mais je ne suis pas forcément partisan de réserver le répertoire français à des français et le répertoire italien à des italiens : nous nous priverions de trop d’artistes de qualité.
Vous proposerez deux productions jeune public, L’Histoire (en)chantée de Lakmé et L’Île de Tulipatan : quelle importance accordez-vous à ce genre ?
Si L’Histoire (en)chantée de Lakmé était déjà programmée quand je suis arrivé, c’est moi qui ai ajouté L’Île de Tulipatan, que j’avais d’ailleurs déjà programmé à Trieste. Le livret est intéressant et amusant avec ses échanges de rôles. Ces spectacles sont primordiaux parce que c’est une étape importante dans la formation musicale du jeune public : il nous revient de former nos futurs spectateurs. C’est une manière légère de les intéresser à l’opéra et de les initier à un parcours de préparation qui les conduise à aller voir ensuite des ouvrages plus longs et plus importants. Même si ce soi-disant jeune public a une maturité et une capacité d’écoute assez étonnante. Quand on voit des adolescents sortir en larmes après avoir assisté à Traviata ou Tristan et Isolde sans se distraire un seul instant, c’est émouvant.
Vous aurez de nouveau une belle saison de récitals, avec Plácido Domingo, Ermonela Jaho et Marina Rebeka. Ces récitals seront avec orchestre : est-ce important ?
Absolument car cela permet de donner au public l’interprétation la plus complète. Les récitals avec piano sont adaptés à certaines situations comme l’initiation du public à travers des soirées dans lesquelles des explications sont apportées entre les airs. Pour rendre à sa juste valeur la puissance de la voix et la capacité d’un chanteur, l’orchestre est indispensable, d’autant que nous en avons un, et très, très bon, à disposition. Cela permet de créer un vrai moment d’opéra, avec des artistes prestigieux. J’ai tenu à présenter Plácido Domingo car je l’ai entendu il y a quelques mois et ses performances vocales, à son âge, sont presque miraculeuses. C’est un si grand chanteur, un si grand artiste, avec lequel j’ai travaillé sur de nombreuses productions depuis 30 ans. C’est aussi une personne incroyable. Ermonela Jaho et Marina Rebeka sont deux chanteuses formidables également, parmi les plus douées et importantes aujourd’hui : ces concerts seront en quelque sorte un avant-goût en attendant les productions futures de l’ORW auxquelles elles participeront.
Enfin, la saison prochaine aura lieu la deuxième édition du Concours international de Chefs d’orchestre d’opéra : ce concours sera-t-il pérenne ?
Nous publierons bientôt la liste des 24 finalistes du concours. Mon propos est de poursuivre ce rendez-vous tous les deux ans. La qualité des jeunes chefs qui se sont présentés est très élevée. Les choisir a demandé un grand travail. Le jury sera aussi de grande qualité, avec à la fois des directeurs d’orchestre et des chanteurs renommés. Le premier prix sera appelé à diriger un ouvrage à l’ORW durant la saison suivante. Le deuxième et troisième prix auront aussi une opportunité de collaborer avec notre orchestre.