Le Songe d’une nuit d’été et des merveilles à l'Opéra de Lille
Cet opéra de Benjamin Britten, cette production et ces artistes s'ancrent tout particulièrement dans A Midsummer Night's Dream et l’univers Shakespearien (dont est tiré le livret), mêlant subtilement l’antiquité classique et l’imaginaire populaire britannique de sources médiévales et Renaissance : Thésée et Obéron.
Un mur de fond de scène en miroir reflète discrètement la salle obscure (« Le monde est un théâtre… » dit Shakespeare dans Comme il vous plaira), puis de grands pans mobiles réfléchissent dans le décor les images de la salle, alors partiellement mise en lumière, pour figurer le palais de Thésée. Le miroir s’inscrit aussi dans la dramaturgie : le personnage de Quince, l’artisan-dramaturge, est une figure du metteur en scène sachant accorder et articuler les talents divers de sa troupe d’artisans-comédiens à l’enthousiasme débordant pour la plus grande dynamique du spectacle et le plus grand plaisir de l’auditoire. Le plateau est éclairé de manière féérique dans les péripéties nocturnes, par nombre de lumignons mobiles (les étoiles) et de disques de lune colorés, offrant un écrin onirique en demi pénombre, dans un perpetuum mobile haletant. Des machines animées par des opérateurs cachés viennent compléter le dispositif de la fabrication du merveilleux, permettant à Puck de tomber du ciel, ou à Obéron et Titania de se mouvoir gracieusement dans les airs. Les costumes simples distinguent les catégories de personnages, les déités, les amants et les artisans-comédiens.
D’un son coloré par la baguette de Guillaume Tourniaire avec efficacité et poésie, tendresse mais aussi ironie, l’Orchestre national de Lille sait donner dans le comique des cris de l’âne et du lion, se faire percussif pour projeter Puck dans ses acrobaties fulgurantes, et montrer combien la partition sait aussi se moquer d’elle-même dans des parties ampoulées et grandiloquentes qui accompagnent le spectacle des artisans-comédiens.
L’ensemble des solistes, engagés dans le jeu et dans le chant, relève le défi de l’écriture vocale avec une grande homogénéité et continuité de la prose. La basse Tomislav Lavoie fait montre de l’autorité vocale qui sied à Thésée, le duc d'Athènes. La voix de format moyen est néanmoins projetée avec chaleur et clarté. Clare Presland met au service du petit rôle d’Hippolyta, fiancée à Thésée, sa prestance et sa voix de mezzo-soprano, plutôt sonore, avec des couleurs parfois proches du cabaret et un impressionnant registre de poitrine.
Les artisans-comédiens représentent un groupe homogène de gens du peuple, férus de poésie et sincèrement engagés dans le projet d’offrir une représentation théâtrale en l’honneur des noces de Thésée (laquelle se révélera calamiteuse, s’attirant les moqueries). Ils constituent le pôle le plus burlesque de l’œuvre, fonctionnant essentiellement en semble, à six, mais avec des interventions personnelles relativement développées pour trois d’entre eux. Dominic Barberi met sa voix de basse ample, au timbre chaleureux et riche de moult couleurs au service de Bottom, qui incarne Pyrame dans le spectacle et qui, victime de Puck qui l’a affublé d’une tête d’âne, séduira à son corps défendant Titania (à qui Obéron a jeté un sort). Le caractère cabotin du rôle est aussi l’occasion de moments bravaches, tendres, lyriques et burlesques, dont Dominic Barberi s’acquitte avec un brio salué lors des applaudissements finaux. Le ténor Dean Power est impassible et bien placé vocalement en Snout et dans le rôle du “mur”, tandis que Kamil Ben Hsaïn Lachiri prête les graves ronds de son agile baryton à Starveling, qui joue la Lune. Thibault de Damas fait rugir son grave (avec accent et timbre) dans le rôle de Snug, qui joue le lion. David Ireland chante Quince avec une voix de baryton-basse sonore, claire et aisée, assumant pleinement, par ses couleurs, le caractère protecteur et bienveillant du rôle. Gwilym Bowen, avec sa voix de ténor de caractère, très projetée, souple et étendue, joue le rôle de Flute, puis celui de Thisbé avec un sens constant et convaincu du comique.
Les amoureux, victimes des erreurs de Puck, conduisent le récit au fil des péripéties et des retournements d’attirances, pour se conclure sur une fin harmonieuse. Les quatre solistes sont pleinement assortis dans le jeu (et le chant) de leurs pulsions amoureuses déréglées. David Portillo incarne Lysandre d’une voix héroïque, très projetée, vibrante, suave et lyrique, puis pleine de fougue dans le défi à Démétrius. Antoinette Dennefeld est Hermia la belle, à la belle voix de mezzo-soprano, capiteuse, lyrique, bien menée, déployée efficacement (et désopilante dans la scène où, se croyant victime d’Helena, elle se plaint de la taille de sa poitrine comparée à celle d’Helena). Le baryton Charles Rice incarne le rôle de Démétrius avec le brio de sa voix très aisée, pleine de fougue juvénile et même érotique, étendue aussi. Il est tour à tour coq et taureau, tout comme Lysandre, son "rival" supposé. Louise Kemény, soprano, incarne Helena, amoureuse de Démétrius, mais négligée par lui et versant dans une cocasse paranoïa. La voix chatoyante de couleurs et de nuances dynamiques sait se faire "laide" pour de justes raisons d’expression efficaces, avant de redevenir lyrique à souhait une fois son amour reconnu par Démétrius.
La cohorte des fées est assumée par le Jeune Chœur des Hauts-de-France, préparé au cordeau par Pascale Diéval-Wils, avec donc des voix blanches mais ancrées dans les traditions vocales britanniques. Leur monde des fées est également représenté par Puck, Obéron et Titania. Le premier est un rôle parlé et acrobatique dans lequel Charlotte Dumartheray fait montre de toute son agilité. Le contre-ténor Nils Wanderer prête à Obéron sa belle voix, sombre, veloutée, bien déployée, riche de subtiles nuances. Il déploie une large palette de couleurs au fil de l’action, avec ironie, tendresse, rancœur, autorité, magnanimité, le tout avec une prononciation remarquée et une présence théâtrale magnétique.
Marie-Eve Munger incarne Titania, l’épouse d’Obéron, qui va subir une vengeance de la part de celui-ci. Sous un charme magique, elle va s’éprendre de Bottom, à la tête d’âne, avant que tout se résolve in fine, dans l’harmonie. Sa voix de soprano colorature est très sonore, fruitée, étendue, permettant l’incarnation de toutes les situations, y compris celles burlesques où la frénésie érotique se déploie.
Ce Songe, estival et endiablé, cette folle nuitée enchantée enchante visiblement le public qui applaudit avec enthousiasme le spectacle et le metteur en scène, inventifs et subtils.