Don Pasquale moqueur et cruel par Michieletto à Londres
La production de Damiano Michieletto modernise les décors : vers le milieu du XXe siècle pour la maison de Don Pasquale, et même vers le futurisme pour celle de Norina (un mouvement identique pour la Fiat 1500 de 1961 qui devient Maserati Quattroporte de 2018, “cavalli” -chevaux- étant traduit par “voiture” dans les surtitres). La production emploie également la vidéo avec effets sur fond vert (permettant de superposer Norina et Ernesto sur le jardin de Don Pasquale).
Avant Bryn Terfel (dont nous avions rendu compte de la prestation dans la précédente série de représentations et qui reviendra plus tard dans celle-ci), Lucio Gallo incarne un Don Pasquale fort jeune et plein d’entrain (sa tentative de séduire Norina semblant de fait bien moins impossible ici que voulu dans le livret). Vocalement, il contrôle complètement son rôle, d’une voix cohérente sur toute la gamme avec un large éventail dynamique, une diction très remarquée et des articulations emplies de superbe (du récitatif à l’air, au duo et au trio). Ses passages rapides donnent un vertige admiratif au public.
Le docteur Malatesta, perfide acolyte de Don Pasquale, offre également une prestation faisant très forte impression sur l’assistance (dans l’un de ces rôles et l’une de ces performances faisant regretter que Giovanni Ruffini et Gaetano Donizetti n’ait pas développé le rôle encore davantage) : le baryton soyeux d'Andrzej Filończyk contraste avec la basse de Lucio Gallo, jouant sans effort l’“amitié” envers Don Pasquale pour mieux soutenir les jeunes amoureux avec les couleurs d’un Belcore ou d’un Raimbaud (qu’il chantera cet été au Festival Rossini de Pesaro).
Xabier Anduaga apporte beaucoup au rôle d'Ernesto, avec sa voix brillante, puissante (peut-être un peu trop dans les ensembles et un peu trop peu dans le médium) mais très contrôlée jusqu’au piano occasionnel. Cette richesse des rôles masculins trouve paradoxalement une homogénéité, dans laquelle s’insère Thomas Barnard avec un profil vocal et théâtral dessiné, en notaire et cousin douteux de Malatesta, Carlino.
Norina, seul rôle féminin de l'opéra, est chanté par Pretty Yende avec son soprano puissant et sensible, qui brille dans le registre médium-aigu. Malgré une désormais grande expérience dans des rôles du bel canto, elle peine à atteindre tout à fait et absolument les sommets de la colorature (dont Olga Peretyatko chérissait chaque demi-croche dans ces mêmes rôle, production et lieu il y a trois ans). Pretty Yende met néanmoins son brillant jeu d’actrice au service des scènes (notamment déguisées) et de sa voix.
Giacomo Sagripanti ne perd aucune occasion de déployer (dès l'ouverture, rideau fermé) la virtuosité et la subtilité orchestrale, s'appuyant sur la grande forme des soli et du tutti mais travaillant aussi la dimension centrale du récitatif accompagné dans cette partition. Les chœurs maison quoique peu sollicités dans cet opéra, sont en voix et déploient toute leur justesse préparée par William Spaulding.
Don Pasquale fait partie de ces opéras posant systématiquement la question voire le défi de comment en traiter la fin. Le choix fait par Michieletto avait désappointé voire déçu de nombreux spectateurs londoniens en 2019, il semble même en offenser encore davantage pour cette reprise, du fait des résonances avec la situation des personnes âgées dans nos sociétés modernes : Don Pasquale se trouve ici jeté dans un fauteuil roulant tandis que Norina moque celui qui veut se marier vieux (“Ben è scemo di cervello Chi s'ammoglia in vecchia età”).