Les Puritains retrouvent enfin le public à l'Opéra de Rome
La mise en scène d’Andrea de Rosa est concentrée sur l'aspect psychologique du récit, qui s'articule notamment autour de la folie d'Elvira. L'ambiance de l'action est obscure et quelque peu vague, avec des costumes renvoyant au siècle dernier et des décors colossaux (les grandes marches et les piliers d'un temple ou d'un château) qui viennent contrepointer la monumentalité de la musique. Les personnages secondaires emplissent et parcourent l'espace de long en large, inscrivant le drame dans une certaine temporalité, certes indéterminée mais qui suit le cours de sa narration. En revanche, les scènes de la jeune mariée Elvira sont chargées de suspens, grâce aux deux panneaux lumineux (l'un pendu et l'autre posé) installés au centre du plateau. Ils délimitent son espace psychologique et scénique, qui devient de plus en plus exigu, en éclairant la folie dans laquelle sombre graduellement l'héroïne, suite à une présupposée tromperie de son bien-aimé. L'entourage sombre (les chanteurs, les objets et en particulier les figurants en noir) accentue le contraste avec la blancheur de sa robe et de son voile de mariée dans lequel elle est enveloppée et capturée, alors que les deux panneaux s'assemblent vers la fin du spectacle pour imiter une chambre de sanatorium. Andrea de Rosa crée ainsi une dichotomie dans sa structure visuelle et élève la psyché de la protagoniste au premier rang, quoiqu'au détriment de la narrativité de l'histoire des Puritains.
Côté musical, c'est à l'Orchestre du Théâtre de l'Opéra de Rome que reviennent les plus grands éloges du public romain. Le maestro Roberto Abbado assure un son résonnant et compact, très précis rythmiquement (notamment en cabalette), imposant une cadence ardente qui peint la toile d'un conflit entre les deux familles dans toute sa violence et intensité. La section des cuivres domine le tissu orchestral par la précision et la droiture du ton (la scène de l'orage en ouverture du IIIe acte, entre autres), et la sonorité des trompettes qui retentissent souverainement dans le duo des barytons(-basse) "Suoni la tromba". Les rangées sonores des choristes sont en revanche moins cohérentes (les pupitres féminins déstabilisant l'homogénéité sonore avec un vibrato déséquilibré et un timbre manquant d’étoffe), mais solides dans la projection, la justesse, et alignées avec l'énergie de la fosse.
La distribution vocale est menée par Jessica Pratt, spécialiste du répertoire bellinien qui incarne Elvira, un autre rôle de jeune mariée sombrant vers la folie, après Lucia récemment donnée à Naples. Sa ligne douce et délicate manifeste l'agilité qui lui permet de sillonner les passages vocalisés. Le timbre lumineux brille dans les aigus et suraigus précis et puissants, avec une émission tout de même vacillante qui s’élargit par la montée en intensité du chant. Les passages rapides coulent avec aisance (à l’exception des gammes descendantes, un peu rigides et fatiguées), colorés d’une expression dynamique assez nuancée et d’un jeu d’actrice persuasif sur le plan psychologique.
Le ténor Francesco Demuro chante la partie d'Arturo Talbot dans un style belcantiste prononcé. Il se présente en bonne santé vocale, tissant des lignes droites finement phrasées en douceur, bien que la projection soit généralement vibrée. Son chant est imbu de passion, poussant les notes même en voix de tête, qui résonne fort malgré un risque réel pour l'intonation. La longueur du souffle lui permet la tenue des longues notes, mais cette force vocale obstinée rend sa palette expressive monotone et modeste tout au long de la soirée. La présence scénique est assez théâtrale, mais la prononciation est sans failles et savamment articulée.
Franco Vassallo se présente en Riccardo par une voix assombrie et arrondie, sonore et bien projetée dans l'espace. Le phrasé est belcantiste et nuancé, riche en expression mais moyennement souple. Toutefois, dès qu'il se retire vers le fond du plateau, sa voix peine à percer la masse d'orchestre.
Nicola Ulivieri en Giorgio Valton arbore un baryton charnu et bien ancré dans l'assise. Il représente l’autorité parentale et vocale en offrant une clarté qui recueille à la fois l’émission vigoureuse et le phrasé mélodieux. Les difficultés de projection et de volume dans les aigus sont compensées par la rondeur du ton et l'étendue de sa respiration.
Dans les rôles secondaires, Roberto Lorenzi chante Gualtiero Valton avec sa voix nourrie et sombre (comme son habit), sa prosodie soignée mais un vibrato qui menace ses efforts. Irene Savignano (Henriette) propose une sonorité solidement résonnante et vibrante, sa prononciation italienne est éloquente mais la justesse parfois fragile. Rodrigo Ortiz (Bruno Roberton) déploie sa voix claire et juvénile, stable mais menue dans la projection, notamment devant l'orchestre.
Le public ovationne et rappelle les artistes au baisser de rideau, avec de longues et bruyantes acclamations destinées surtout à Jessica Pratt et Francesco Demuro, ainsi qu'au maestro Roberto Abbado.