Les Lombards à la première croisade entre toutes à La Fenice de Venise
Le jeune metteur en scène Valentino Villa choisit de souligner, comme fil conducteur de tout le drame, le péché d’Envie. La relation entre les frères Avino et Pagano est ainsi présentée comme le ressort fondamental du drame, leur rivalité étant la manifestation de conflits ataviques renvoyant même aux origines des premiers mythes. Ce sont ainsi Abel et Caïn qui sont convoqués en métaphore éloquente et littérale lorsque les frères se déshabillent et luttent dans un baquet doré (la source du Sinaï) comme dans une danse ancestrale entre victime et bourreau, jusqu'à ce que mort par noyade s’ensuive. Finalement, sur l’hymne de louange des Croisés, Pagano exhale son dernier souffle après avoir demandé pardon, apaisé enfin après l'étreinte de réconciliation avec son frère.
Les références de la mise en scène remontent ainsi au temps biblique, mais la scénographie est en contraste absolu : l’horizon moyen-oriental s’aperçoit au loin par l’ouverture cruciforme du grand hangar bétonné servant de plateau. La grotte est ici une jeep et surtout, la prise de Jérusalem est ici un assaut au fusil-mitrailleur sur une supérette banale (avec boissons et fast-foods). Les costumes ne sauraient eux non plus être davantage contrastés, blanc d'un côté, noir de l'autre, avec jeans-baskets-casquettes-blouses-voiles.
L'ouverture laisse filtrer les lumières solaires ou les flammes de l'Enfer. Des faisceaux lumineux (également conçus par Fabio Barettin) géométrisent encore davantage la structure, des carrés de lumière protégeant les protagonistes de cet univers hostile, et se combinant généralement au service des scènes.
La direction du chef d'orchestre Sebastiano Rolli est d'une grande précision pour rendre les précisions que restitue la partition originelle de Verdi : des tempi, dynamiques, phrasés paraissent clarifiés à chaque page. La fosse rend tous ces détails qui contribuent à tisser la dramaturgie musicale globale notamment en portant l'intensité du chant entre les personnages. Le grand soin instrumental (tel le long solo de violon qui ouvre le quatrième acte) suspend le temps et retient le souffle pour mieux déployer de puissantes tonalités tout en respectant les voix et les mouvements scéniques. Fidèle à la tradition des opéras italiens, même les scènes de masse maintiennent un contact étroit entre le chœur et l'orchestre.
Roberta Mantegna affronte d'une voix agile et cristalline la souplesse requise pour le rôle de Giselda, avec confiance et maîtrise, l'incarnant comme elle le chante (précisément) dès le silence et le lointain.
Michele Pertusi campe le Païen avec des accents nobles, force, détermination (notamment dans les graves) et une haute carrure vocale. Particulièrement à l'aise avec le texte, il respire comme il parle et comme il chante, touchant visiblement l'auditoire par la profonde humanité de son interprétation.
Comme il le démontrait déjà in loco avec Rigoletto par Michieletto, Antonio Poli offre à Oronte sa couleur lyrique captivante, ses affinités de chanteur-acteur avec un rôle séducteur et sa ligne vocale affirmée et soutenue sur toute la tessiture.
Barbara Massaro (Sofia) soutient son agilité vocale avec émotion et tension dramatique, appuyée sur un timbre sombre et habile dans tous les phrasés.
Adolfo Corrado rappelle sa formation première d'acteur dans le rôle d'Acciano, mais aussi qu'il forma ensuite au Conservatoire de musique son baryton-basse à la fois brillant et clair mais avec de profonds accents graves dominant sa tessiture et le plateau.
Incisif, plein d'élan dans les moments de ferveur, souple dans les autres, le ténor Antonio Coriano se démarque par son tempérament en Arvino. Marianna Mappa (Viclinda) se distingue également par sa présence scénique et sûre, Christian Collia en faisant de même dans le court mais décisif passage du prieur, tandis que Mattia Denti offre sa fiabilité vocale à Pirro.
Les spectateurs emplissant la salle, entre habitués et touristes, applaudissent les artistes avec enthousiasme (notamment le chef, l'orchestre et le chœur) avant d'échanger bien évidemment sur l'édifiante rencontre entre les querelles millénaires et notre monde très contemporain, présentée dans cette mise en scène comme dans l'actualité internationale.