À Versailles, quel Destin pour le Nouveau Siècle ?
Le Destin du Nouveau Siècle est une des pièces méconnues du répertoire baroque, que le Château de Versailles permet de redécouvrir, lors de cette soirée de lancement et à travers un enregistrement. Le titre de cet opéra-ballet, créé en 1700 au Collège Louis-le-Grand, qui a posteriori semble étrangement programmatique, n’est pas sans échos avec notre situation actuelle (invitant à se demander quel sera le destin de notre propre siècle, quatre-cents ans plus tard, et peut-être d’autant plus dans la Grande salle des Croisades).
Le chœur et l’orchestre de l’Ensemble La Tempesta, sous la direction de Patrick Bismuth, fidèles à leurs habitudes, proposent une version historiquement informée, mais dans cette salle du Château de Versailles qui a été ajoutée par Louis-Philippe en 1843, soit bien plus tard que l’œuvre de Campra et Cerceau. Cette salle sur un seul plan impose hélas au chœur d’être plaqué dans le dos des instrumentistes, tandis que les solistes n’ont qu’un tout petit espace devant ceux-ci et doivent sortir après chaque solo (rendant impossibles de véritables échanges entre les différents artistes). L’incompréhension et l’absence d’échange entre les hommes est pourtant le véritable sujet du livret du Père Jean-Antoine du Cerceau, chantant la Paix contre la Guerre, dans une étrange actualité du propos.
Le chef Patrick Bismuth dirige cependant avec passion l’ensemble des musiciens, marqué par les individualités. Les solistes instrumentaux se font ainsi remarquer, à l’image d’Hélène Houzel, brillante violoniste qui réussit à fédérer son pupitre, en devenant le bras droit (ou plutôt bras gauche) de Patrick Bismuth. Le hautboïste Francesco Intrieri sort aussi du lot, avec de très belles parties qu’il met en valeur avec justesse et vivacité. Le chœur est plus inégal, dès l’introduction laissant apercevoir chacun comme soliste. Les sopranos sont dynamiques, avec des voix chaudes et toujours efficaces, bien que l’intonation soit parfois légèrement décalée. Mais les voix d’hommes, qui composent le reste du chœur, sont bien trop discrètes, en particulier pour les deux voix graves dans les pupitres de ténors et de basses. Cyril Escoffier (haute taille-ténor aigu) fait toutefois exception : tout d’abord timide, il s’affirme avec musicalité dans ses parties solistes, tout comme le pupitre de contre-ténors tenu par Gabriel-Ange Brusson et Luc-Emmanuel Betton, très engagés dans chacune de leurs parties.
Les deux voix féminines de sopranos, relativement peu présentes dans la partition, sont très différentes l’une de l’autre. Claire Lefilliâtre offre en Gloire/Bellonne/Pallas un timbre particulièrement voluptueux et chaud, avec de larges vocalises qui la distinguent sur scène, et une grande souplesse, mais sa diction insuffisante se perd parfois entre ses rôles. Florie Valiquette incarne la Paix qui joue sur le charme de son interprétation physique mais s’illustre pourtant dans de beaux aigus. Sa grande retenue dans le registre plus grave offre certes une réelle grâce et douceur à ses interventions.
Marc Mauillon en Mars/Saturne rythme le concert par ses apparitions justes et puissantes. Il domine la partition comme la scène avec une technique de voix toute particulière, en timbrant ce qui s’apparente à une intonation parlée. Tout en simplicité mais avec maîtrise évidente, il s’impose par une présence éclatante que les autres chanteurs peinent à obtenir. À l’énergie moderne de Mars, Mathias Vidal, le Génie de la terre, oppose ainsi une énergie surprenante et des vocalises ciselées, en particulier dans les aigus, très juste dans l’idée d’interprétation historiquement informée qui est celle de La Tempesta, mais cette excitation constante devient contre-productive, et empêche de profiter de sa musicalité. Le troisième soliste masculin, Thomas Van Essen, livre ici une performance surprenante en Vulcain et un guerrier. Dans sa première intervention, sa discrétion le rend délicat à entendre, avec énormément de souffle et une voix blanche que couvrent les musiciens. Dans sa dernière intervention, qui clôt l’opéra-ballet, il est au contraire transfiguré en baryton puissant, ample et chaud.
Comme les spectateurs royaux du début du XVIIIe siècle, le public se prend visiblement au jeu de cet opéra-ballet mouvementé, symbole des temps politiques troublés, et se prend à rêver de paix tout en applaudissant longuement.