Instant Lyrique bel canto avec Patrizia Ciofi et Karine Deshayes
Karine Deshayes sauve un deuxième concert en deux soirs d’affilée, remplaçant Michèle Losier ce soir Salle Gaveau, après avoir remplacé Marianne Crebassa dans Anna Bolena la veille au Théâtre des Champs-Elysées. C’est toutefois sa partenaire qui ouvre ce soir le récital avec Anna Bolena. Aucune annonce ne précise si Patrizia Ciofi est souffrante, mais le registre grave se dérobe presque complètement et la chanteuse a du mal à attaquer le son avec netteté dans le medium. Pourtant, l’artiste parvient à offrir les couleurs du haut medium et des aigus assurés, qui font vibrer toute la salle. Sa silhouette un peu fragile et sa présence émouvante transforment par moment les fragilités vocales en une certaine forme de poésie, distillant une puissante nostalgie. Pour Donizetti toujours mais en français (Marie de La Fille du Régiment) l’attention aux mots et au phrasé est bienvenue, aussi touchante par sa sincérité que sa Gilda juvénile.
De son côté, Karine Deshayes apparaît en très grande forme : la voix est égale sur toute la tessiture, avec cette accroche haute qui permet à la mezzo d’aller chercher des attaques légères et de vrais piani, la bouche presque close. Le timbre est clair, parfois un peu pointu dans l’aigu, mais il partage avec celui de Patrizia Ciofi une certaine rondeur soyeuse. Dès son premier air (Romeo de Bellini) l’impression de facilité et de légèreté sort renforcée par les ornements d’aigus éclatants. La voix résonne avec une aisance déconcertante dans la Salle Gaveau (même si elle prive le héros Shakespearien d’une part d’ombre, qui aurait gravé encore davantage les grandes phrases belliniennes). La présence dramatique vient avec Donizetti (Anna Bolena) tandis que la légèreté agile demeure avec Rossini (Elisabetta, regina d’Inghilterra).
L’osmose entre les artistes se déploie pleinement dans leurs grands duos (I Capuleti e i Montecchi et Norma) : elles construisent leurs phrases ensemble, avec une véritable écoute mutuelle, leurs timbres se mêlant naturellement. Karine Deshayes est d’abord un Romeo passionné puis une Adalgisa brûlante alors que Patrizia Ciofi incarne une Giulietta fragile avant d’être une Norma déchirée. Partageant la même grammaire belcantiste (sons filés, nuances, trilles), les deux artistes ne sacrifient jamais la musique au chant, toujours attentives au texte et à la situation. Néanmoins, malgré une vraie générosité des deux interprètes, l’exercice du récital avec piano et la présence de la partition entre les artistes réduisent un peu la dimension dramatique de ces grands moments de théâtre.
Pourtant, au piano, Antoine Palloc est attentif aux chanteuses, portant leur souffle depuis le clavier, cherchant à jouer à lui seul le rôle de l’orchestre. Son interprétation de l'Andante de Donizetti est particulièrement rêveuse et mélancolique.
Le public applaudit chaleureusement les deux chanteuses qui leur offrent en unique bis, le duo des fleurs de Lakmé.