Étincelant Nabucco à l’Opéra de Massy
Pour cette production OPERA 2001, en collaboration avec l’Opéra de Massy, la metteuse en scène Roberta Mattelli propose une vision tout à fait traditionnelle. Les décors et les costumes, signés Alfredo Troisi, placent efficacement les actions dans leur lieu : un grand chandelier à sept branches pour le temple de Salomon, un majestueux trône ailé pour le palais ou un autel avec une grande statue de Baal pour les jardins suspendus de Babylone. Les costumes sont tous riches en détails, permettant de reconnaître immédiatement l’identité de chaque personnage. Globalement, le jeu d’acteur manque parfois de fluidité et de finesse, tout comme les effets (éclair divin foudroyant Nabucco ou destruction miraculeuse de la statue de Baal) pas spécialement spectaculaires. Toutefois, le propos de l’œuvre est toujours respecté et l’attention du spectateur n'est jamais distraite du chant et de la musique, la mise en scène servant de guide pour mieux les comprendre.
Vocalement très exigeante (la créatrice du rôle d’Abigaïlle y ayant probablement perdu sa voix), l'œuvre est ici défendue par deux distributions. Cette première est dominée par Chrystelle di Marco, Abigaïlle furieusement malheureuse et passionnée. La soprano française impressionne immédiatement par la puissance de sa voix, dominant aisément orchestre et chœur. Elle effraie aussi, déjà par ses regards pénétrants et surtout par ses graves pleins de noirceur et extrêmement présents. Ses aigus sont aussi souvent flamboyants, parfois rayonnants, bien qu’un peu moins stables. Elle campe ainsi cette femme aux allures guerrières, pourtant fragile et touchante, notamment par des aigus suspendus, une note finale ne réussissant malheureusement pas à sortir tout de suite, tant la chanteuse veut la soigner.
Le Roi Nabucco est interprété par le baryton Mamuka Lomidze. Etonnamment, c’est dans la fragilité du souverain déchu que le chanteur fait d'abord entendre sa voix impérieuse et chaleureuse, malgré quelques sécheresses dans les fins de phrasés. Si sa ligne vocale semble comme prisonnière de sa lourde tenue royale, manquant de largesse et de timbre, la foudre divine se manifeste finalement avec l’autorité attendue pour ce personnage, dans des phrasés intenses et bien conduits ainsi qu'une prononciation plutôt soignée.
Le Grand Prêtre Zaccaria bénéficie de la voix ronde et puissante (imposante même, avec son vibrato ample et souple) de la basse Giorgi Chelidze. Ses lignes vocales n'en sont pas moins précises et maîtrisées avec cohérence. Malgré une fatigue progressive au fur et à mesure de la soirée, le soutien perdant légèrement en assurance durant le second acte et les graves perdant de leur assise à la fin du troisième, il ne se départ jamais de sa présence prophétique (convaincant certains auditeurs jusqu'à l'enthousiasme).
La seconde (et véritable) fille du souverain, Fenena, est incarnée par la mezzo-soprano Rachele Raggiotti. Verdi et Solera ne lui offrent peut-être pas (autant) de quoi s’imposer scéniquement, mais elle parvient néanmoins à saisir l’opportunité de ses quelques interventions pour surprendre l’auditeur par la présence et la clarté naturelle de sa voix. Elle transforme une agréable chaleur dans les médium-grave, en un timbre tranchant tout à fait seyant pour les aigus.
Le Prince hébreu Ismaele est chanté par le ténor Giuseppe Talamo. A côté de ses collègues, sa voix paraît un peu faible, comme voilée. Il peut néanmoins séduire par son timbre vaillant et le soin porté à sa diction mais, malgré une vigilance patente, il ne parvient pas à stabiliser ses aigus, déraillants à quelques reprises.
La soprano Leonora Ilieva parvient à imposer la luminosité de sa voix en Anna malgré la puissance d'Abigaïlle. La basse Riccardo Bosco chante le Grand Prêtre de Baal avec un timbre profond, rond et vibré avec goût (bien que la projection reste limitée). Le ténor Rosario Cristaldi (Abdallo) a la voix présente et sûre.
Le Coro Lirico Siciliano préparé par Francesco Costa est évidemment fort sollicité et participe beaucoup au ravissement du public. Les interventions uniquement masculines manquent quelque peu de précision, contrairement à celles des pupitres féminins, mais le chœur réuni trouve et retrouve un son d'une rondeur homogène, idéale pour les effets de masse. Sous la direction très caressante et attentive de Dominique Rouits, l’ensemble offre notamment le fameux chœur des esclaves "Va, pensiero" avec de subtiles nuances piano. Les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra de Massy démontrent les mêmes qualités, interprétant leur partition avec finesse, précision, propreté et homogénéité. Cette lecture, certes un rien sage, répond pleinement aux besoins de la musique et du plateau, ainsi qu'aux attentes du public.
Pour manifester « pensée et cœur » aux réfugiés et aux victimes des atrocités qui marquent le passé comme le présent, Dominique Rouits invite le public à chanter avec l’ensemble des artistes et en bis le fameux chœur des esclaves, longuement applaudi (comme le lendemain pour la seconde date et distribution).