Chœur à cœur de Barbara Hannigan pour ouvrir le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence
Le programme annonce un hommage au repos éternel, réunissant le Concerto à la mémoire d’un ange de Berg et le Requiem de Mozart mais le concert s’ouvre sur un chant a cappella, une poésie ukrainienne entonnée par Barbara Hannigan en contrepoint serré avec une complice dissimulée dans la nuit des coulisses : J’étais debout et j’écoutais le printemps de Kyrylo Stetsenko.
Après avoir chanté depuis son estrade, Barbara Hannigan tourne lentement le dos à la salle, pour faire face à l’orchestre distribué de manière singulière : contrebasses à sa gauche, violoncelles au centre, cuivres à droite (le son de ces deux pupitres étant d’autant plus lisible). Le Chœur de Radio France s’étend ici au maximum, lui aussi dans une disposition inhabituelle : sopranos, basses, altos et ténors (de jardin à cour) mais l'expérience qui s'annonce contrastée pour l'auditoire est au final très homogène (c'est même le pupitre des sopranos, placé comme à son habitude, qui ressort dans l'économie de son vibrato et d'un son planant sur l'intime prière).
La cheffe Hannigan se tient droite et souple comme un roseau, dans une énergie à la fois sereine et affutée, élançant les effluves de musique du bout de ses doigts, souvent écartés, comme pour mieux atteindre tous les pupitres. Ses épaules restent ancrées dans le prolongement du dos, afin de conserver la pulsation unifiée. Les crescendos de timbre et de masse, immersifs comme de grandes marées montantes, sont particulièrement privilégiés, comme si l’orchestre de Berg se coulait dans celui de Mozart. Les contrastes de tempo et de dynamique sont soulignés, renforçant d’autant la matière très disruptive des silences.
La puissance du message porté par ce concert est rendue d’autant plus évidente par le travail des lumières : une brume traversée par les poursuites des projecteurs, qui s’ouvrent en auréoles, au-dessus des protagonistes, plongés dans le rouge et le noir. Le détail le plus saisissant, le plus dense symboliquement, est l’ombre portée sur le visage des solistes, dès qu’ils reprennent place silencieusement sur leur chaise. Du quatuor de solistes, quatre cavaliers de l’Apocalypse, arrive en tête la soprano suédoise Johanna Wallroth, droite, intense, lumineuse, perçant l’obscurité d’une voix pleinement placée. Les consonnes sifflent avec un léger prolongement qui permet à la ligne, souvent droite et cristalline de la chanteuse, de se découper en claires vocalises. Yannis François (baryton-basse originaire de la Guadeloupe) déploie et projette avec efficacité son instrument ductile au souffle long. Le ténor canadien Charles Sy est (d)étonnant de nervosité, en contraste radical avec son partenaire masculin. Le vibrato est serré, mais l’émission traversée par un sourire qui laisse facilement passer la voix. La mezzo-soprano canadienne Adanya Dunn a bien du mal à se singulariser, ce qui est dû à l’écriture de la partition mais pas seulement. L’émission semble entravée par une fermeture labiale qui affecte les nombreuses voyelles du latin. La voix, sans doute au beau timbre de fruit doré, se fond dans le quatuor, dont Mozart équilibre pourtant subtilement l’assemblage.
Cette soirée d’ouverture du Festival de Pâques est longuement applaudie par le public heureux de retrouver la salle et les trésors du répertoire.