Nabucco théâtral pour la deuxième à l’Opéra de Massy
Giuseppe Verdi n’a pas 30 ans mais il a déjà vécu bien des drames lorsqu’il reçoit son premier triomphe, avec Nabucco, son légendaire Chœur des esclaves mais aussi le rôle presque “inchantable” d’Abigaïlle (créé par Giuseppina Strepponi qui y perdra vraisemblablement la voix). L’Opéra de Massy, proposant une série de représentations sur plusieurs jours d’affilée, a donc bien évidemment engagé une double distribution, dans les rôles de Nabucco, Abigaïlle et Zaccaria (notre compte-rendu de la première est à lire ici).
En Abigaïlle, la soprano française Héloïse Koempgen-Bramy offre une prestation intense illuminée par ses aigus rayonnants et ses graves au grain moelleux. L’auditeur n’a ce soir pas droit au suraigu, mais bel et bien à l’aisance constante des vocalises et des sauts de registres spectaculaires. Le souffle est géré avec économie par la chanteuse qui emmène le tempo, alerte. Dans le rôle-titre, le baryton italien Paolo Ruggiero fait d’abord entendre une voix particulièrement claire, très peu timbrée, mais apportant déjà un soin tout particulier à la diction. Étrangement statique après avoir repris sa couronne à l’acte II, il manifeste les qualités de son jeu d’acteur dès que la foudre l’en prive à nouveau, incarnant à propos le monarque hébété et troublé par cette inattendue sanction divine.
Ces deux interprètes interagissent et occupent ainsi crescendo l’espace de cette mise en scène (que Roberta Mattelli veut la plus respectueuse possible du texte originel), investissant et dominant progressivement la grande estrade en forme d’étoile.
Le Grand Prêtre Zaccaria est interprété par la basse Giorgi Kirof avec profondeur, présence et constance. Sa voix est projetée sans exagération, avec un vibrato assez ample qui arrondit son timbre et des phrasés expressifs mais sensibles.
La belle et innocente Fenena est de nouveau confiée aux soins de la mezzo-soprano Rachele Raggiotti, avec la douce chaleur de ses médium-graves, ses aigus sensibles et lumineux. Le ténor Giuseppe Talamo retrouve également son rôle d’Ismaele, avec ce soir davantage d’assurance : la maîtrise attentive de son souffle soutient de longs phrasés et des aigus sûrs, un peu feutrés mais tout de même héroïques.
Leonora Ilieva en Anna apporte une touche de luminosité aux ensembles, Riccardo Bosco sa voix ronde et plutôt autoritaire en Grand Prêtre de Baal, Rosario Cristaldi (Abdallo) paraît convaincu quoique manquant un peu de largesse.
Le Coro Lirico Siciliano de Francesco Costa interprète à nouveau les inoubliables pages offertes par Verdi, avec homogénéité et rondeur de son. Ses intentions, surtout de dynamiques, sont souples et toujours conduites avec cohérence. La précision pourrait être accrue (tout comme le caractère incisif des phrasés et la clarté du texte), toutefois, les effets de masse sont toujours accomplis.
Sous la direction de Dominique Rouits, qui insuffle phrasés et énergie (un rien retenue), l’Orchestre de l’Opéra de Massy remplit constamment son rôle, proposant des couleurs franches et diverses, un son d’une grande et chaleureuse clarté. La musique est rendue dans sa théâtralité avec aussi un côté espiègle, vivant et charmeur. L’absence de prise de risques et la dimension limitée du spectaculaire, n’empêchent pas l’expressivité du spectacle et l’enthousiasme du public, certains criant même « Merci Dominique ! Merci l’Orchestre ! ».
Comme la veille, et malheureusement certainement comme pour les dates suivantes et bien (trop) d’autres par la suite, Dominique Rouits propose d’adresser cette “pensée aux ailes dorées” qui s’envole vers les victimes d’une patrie perdue, le “Va, pensiero” chanté en bis avec le public, qui applaudit longuement et chaleureusement.