Thaïs de Massenet triomphe au Théâtre des Champs-Élysées
L’Orchestre fait souffler ce soir le vent orageux du désert égyptien sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées, les voix emportent le public dans les rêves des palais dorés d’Alexandrie, illuminés par la musique de Massenet, le tout pour une salle comble et comblée. Pierre Bleuse dirige en effet avec un enthousiasme bondissant l’Orchestre National de France : l’ouverture de l’opéra est imprégnée d’une délicatesse contrastant avec les débordements explosifs précédant la fameuse méditation, quant à elle soulignée avec raffinement par l’orchestre. Les couleurs des cors résonnent particulièrement sur les premières notes découvrant Alexandrie.
Le Chœur de Radio France démontre une harmonie teintée de joyeux éclats. Seules, les voix d’hommes construisent avec une gravité profonde le monastère du désert, et des voix féminines émane une douceur spirituelle qui évoque la pureté et l’élévation que demande Thaïs.
Patrick Ivorra, dans le rôle du serviteur de Nicias, présente un timbre sombre et un chant précis et travaillé. Cassandre Berthon et Marielou Jacquard incarnent respectivement Crobyle et Myrtale, dans un duo aux aigus saillants. La première est dotée d’un soprano agile, quoique serré par moments et la seconde d’une voix souple et légère. Marie Gautrot est Albine, à la voix ferme, plutôt sombre et maîtrisée.
Palémon est, quant à lui, interprété par Guilhem Worms. Sa voix porte, impassible, dans la salle du théâtre, sombre, profonde, d’une ligne imperturbable s’accordant pleinement avec l’austérité du monastère au fond du désert : contraste saisissant avec les airs tourmentés d’Athanaël.
Nicias revient à Pene Pati et le ténor samoan prend un plaisir visible à ce rôle, arrachant des sourires au public. Il apparaît guilleret, rieur dans la voix, dans un chant aussi aisé que généreux qu’il aborde avec une plaisante légèreté lors de ses retrouvailles avec Athanaël –ce qui ne l’empêche pas de soudain attendrir, alors qu’il rencontre Thaïs « pour la dernière fois ». Le timbre est clair, empreint d’une certaine douceur et délicatement coloré. Quant à la prononciation du français, elle est presque sans accrocs.
Ludovic Tézier, habitué du rôle, offre un Athanaël particulièrement tragique, faisant dégringoler son austérité et sa rigidité déboussolées au fur et à mesure de l’intrigue pour n’être plus que désespoir. D’une voix puissante, il entonne le fameux « Voilà donc la terrible cité » avec une énergie vibrante qui emporte le public. Le timbre est sombre, la palette est riche et nuancée et le baryton rend aussi bien les rigueurs d’Athanaël que sa misère croissante dans le dernier acte, allant jusqu’à arracher une larme à quelques spectateurs alors qu’il se rend compte qu’il ne verra plus Thaïs et lui fait ses adieux « pour toujours ». Il impressionne dans ses fureurs, soulignées par des graves imposants, et, enfin, touche dans sa détresse pathétique, nihiliste, à la fin de l’opéra, alors que Thaïs meurt dans ses bras.
À l’ombrageuse présence d’Athanaël répond Thaïs, par la sensible voix d’Ermonela Jaho. La soprano albanaise apparaît sur scène vêtue d’une somptueuse robe dorée rayonnant de mille feux, captivant aussitôt le regard et, avec une sensualité légère, gracieuse surtout, elle entame sa prestation d’une voix ourlée de riches vibrations, d’un chant langoureux donnant lieu à des fins de phrase parfois trop essoufflées, allant cependant jusqu’à démontrer une fragilité (voulue) qui sied absolument à son personnage et accentue le contraste avec le sévère Athanaël. À cela s’ajoute la passion qu’elle insuffle dans le rôle, ainsi qu’une théâtralité bienvenue la rendant particulièrement touchante. Après la méditation, elle revient vêtue d’une longue robe tirant sur le blanc et tombant en son dos comme une traîne et, encore une fois, frappe le spectateur par la candeur, l’éclat et la joie légère qu’elle insuffle en ses notes alors qu’enfin, elle expire en extase. Le seul bémol est dans la diction, parfois trop floue pour être entièrement comprise.
Le public laisse à peine aux artistes le temps de souffler avant de leur offrir un triomphe : les dernières notes résonnent et aussitôt, c’est un tonnerre d’applaudissements qui remplace la musique pour saluer abondamment les chanteurs et les musiciens. Enfin disparaissent les images musicales de la ville et du désert, et les spectateurs s’en retournent dans les rues nocturnes de Paris.
#Thais #Massenet ce soir au @TCEOPERA : un immense bravo à @ErmonelaJaho @TezierLudovic #PenePati @guilhem_worms et leurs collègues, @nationaldefce @ChoeurRF dirigés par @PBleuse Vive l'opéra français ! pic.twitter.com/LHlF1YokVi
— Jean BOSO (@j_boso) 9 avril 2022