Ovation pour la Passion avec Alarcón à Dijon
Allant au-delà d’une version de concert, les artistes -habitués des lieux- proposent une mise en espace permettant une approche à la fois encore plus intimiste (par la proximité avec le public) et grandiose (par les effets de masse sonore). L’avant-scène laisse un grand espace aux solistes qui s'y expriment par leur chant mais aussi une gestuelle théâtrale propre aux intentions et passions des personnages. Se prenant également au jeu, les deux chœurs alimentent les tableaux sonores par leurs déplacements tout au long de l’œuvre : encadrant les solistes ou bien au sein de la salle avec le public.
Ne négligeant personne malgré le ballet des (re)dispositions, le maestro Leonardo García Alarcón encourage tous les artistes par une direction énergique et fraiche. Le ton est donné à l’orchestre Cappella Mediterranea qui produit d'amples et nobles résonances harmoniques ainsi que des nuances frissonnantes appliquées à chaque mouvement.
Le Chœur de Chambre de Namur et le Chœur de l’Opéra de Dijon (représentant les disciples de Jésus ainsi que le peuple) s'imposent comme la pièce maîtresse du rendu sonore, bâtissent un mur de son et un arc-en-ciel de couleurs musicales à la fois. Les jeux de nuances, notamment en fins de phrases, sont aériens et véhiculent des frissons perceptibles dans toute la salle. Les interventions de phrases-solistes parmi les chœurs sont également bien engagées et justes, donnant la réplique aux protagonistes en faisant avancer le récit.
Côté soliste justement, la qualité est elle aussi -globalement- au rendez-vous. Commençant avec une matière un peu frêle, la soprano Ilse Eerens développe un chant qui demeure doux et soigné. Le vibrato lui permet de donner plus de corps au son lisse et raffiné, jusqu'aux aigus aiguisés.
Bien que légèrement couverte par l’orchestre, la mezzo-soprano Dara Savinova laisse entendre une matière voluptueuse et souple, notamment appuyée sur des graves corsés lui permettant de creuser une suave et riche palette sonore. Soignant son phrasé langoureux, sa musicalité émeut tout en se fondant avec l’orchestre.
Les interprétations des solistes masculins demeurent un peu plus déséquilibrées. Le ténor Valerio Contaldo affirme d'emblée son abattage (et même son charisme) dans le rôle de l’évangéliste, exprimant les sentiments en même temps que la narration. La voix solide est expressive et nuancée avec des phrasés clairs et des appuis ténébreux, mais certains aigus demeurent instables.
Endossant le rôle de Jésus, le baryton-basse André Morsch offre également une présence scénique et vocale certaine. Doté d’un timbre généreux et musclé, ses vocalises sont sans failles et se poursuivent sur des tenues sans réserve. Il captive et convoque même ainsi l’auditoire, par la tension d'un discours pulsé et vivant. Dans le même registre et par le rôle de Pilate, Christian Immler propose une voix puissante et bien ancrée sur un discours solennel et élégant, avec une diction notablement appliquée et efficace.
Malgré un investissement rendu avec l'évidence de sa voix claire, le ténor Fabio Trümpy manque d’homogénéité vocale et surtout, de solidité dans les aigus (l’interprétation se retreignant d'autant de ce fait).
Les musiciens s'unissent pour un finale lumineusement dramatique et au plus proche du texte dans le tourbillon émotionnel de cette œuvre et de cette disposition réunissant confessions intimes et grandes cascades musicales, recueillant une longue ovation de la part du public qui rappelle les artistes plusieurs fois sur scène.