Don Carlos en direct du Metropolitan Opera de New York
La série de retransmissions en direct se poursuit avec Don Carlos de Verdi proposé pour la première fois au Met en version française et en cinq actes. Comme le veut la tradition de ces émissions, une artiste (en l'occurrence la soprano Ailyn Pérez) présente la soirée et accompagne les spectateurs à travers des petites interviews en coulisses. Cette production de David McVicar compose une atmosphère générale sombre et oppressante parmi des décors grandioses (confectionnés par Charles Edwards) : la structure principale représente les profondeurs d’une catacombe. De grands murs en pierre dessinent un long couloir avec plusieurs plateformes à l’avant-scène, le tout présentant avec dynamisme les scènes d’actions oppressantes et funestes mais aussi les passages plus doux et contemplatifs. Les artistes évoluent vers le drame avec une direction de jeu impliquée et dans les somptueux costumes (imaginés par Brigitte Reiffenstuel) colorés et méticuleusement détaillés, le tout harmonieusement mis en lumière par Adam Silverman.
Le Directeur musical du Metropolitan Opera, Yannick Nézet-Séguin, souffrant, est remplacé par Patrick Furrer, qui fait trembler les murs des salles de cinéma par la profonde tension musicale de la partition. Dans le rôle-titre, le ténor Matthew Polenzani est d’abord réservé, notamment seul. Les nuances et fins de phrases ne sont pas complètement contrôlées, notamment la justesse. Le ténor gagne cependant en application et musicalité, notamment par ses phrasés, à la fois plus théâtraux et détendus. Les ensembles l’incitant à donner davantage, ils lui laissent et reçoivent de lui une liberté plus large encore.
La Reine Elisabeth de Valois est intensément incarnée par la soprano Sonya Yoncheva, entre l’amour et le devoir royal la condamnant à une éternelle douleur. Plaintive et glaciale à la fois, elle exprime son immense désarroi par un oxymore : entre son stoïcisme scénique et sa générosité vocale. Le timbre, riche, est soutenu par les graves et les médiums. Malgré quelques rigidités dans les vocalises, elle s'élance vers des aigus projetés et mordants.
La mezzo-soprano Jamie Barton récolte également une ovation du public en Princesse Eboli, pour son jeu scénique pétillant et naturel. Sa voix sombre et caverneuse se distingue aussi, par ses graves ronds et ses aigus clairs vivement timbrés (proclamant toute la furie de sa colère dans son air "O Don Fatal", tout en dévoilant son œil blessé, marque d’un accident d’escrime dans son enfance).
Le Rodrigue du baryton Étienne Dupuis captive l'écran par sa présence, son jeu et son chant solide. La matière vocale abondante est exploitée sans réserve, jusqu'au sacrifice pour Don Carlos. Le triste Roi Philippe II a le ton solennel et majestueux du baryton-basse Eric Owens, qui dévoile le caractère de son personnage petit à petit, par une gestuelle et un phrasé minimalistes mais efficaces. Les sentiments éclatent d'autant mieux dans le fameux "Elle ne m’aime pas".
Le rôle du Grand Inquisiteur est campé par la basse John Relyea avec sa matière profonde, mise en relief par son phrasé. Il met en garde le Roi d’Espagne jusque dans une forme de démence, provocante autant qu'expressive.
Le Chœur du Metropolitan Opera et les plus petits rôles assument leurs fonctions, exploitant leur présence scénique ainsi que leurs couleurs vocales.
Le public applaudit une fois de plus la haute définition du spectacle, en salle comme au cinéma.