Odes de Purcell par Le Banquet Céleste : Welcome Salle Gaveau
Damien Guillon entretient un lien particulier avec la musique d’Henry Purcell qu’il a très tôt pratiquée en tant que chanteur. Ce soir et désormais, c’est à la tête de son Ensemble Le Banquet Céleste qu’il présente trois odes choisies parmi les vingt-quatre inscrites au catalogue du compositeur surnommé « The British Orpheus ». Genre typiquement anglais, entre la cantate et le petit opéra, ces odes rendent hommage à deux rois : From those serene and rapturous joys et Fly, bold rebellion composées pour Charles II, Why are all the muses mute? célébrant Jacques II. Si la première est une ode de bienvenue, les deux suivantes intègrent l’actualité politique de l’époque en faisant allusion à différents complots (qui furent déjoués, bien évidemment).
De forme libre, la structure suit le poème, et la musique de Purcell apparaît dans toute sa richesse et sa diversité, alors qu’il n’a pas encore écrit d’opéra et qu’il vient d’être admis à 23 ans comme « gentleman » à la Chapelle Royale. La cour d’Angleterre ne disposant pas toujours d’un grand effectif de musiciens pour ces œuvres de circonstance, les odes sont destinées à un petit ensemble de cordes et quelques chanteurs. Ce soir les huit solistes (deux par voix) prennent place derrière les huit instrumentistes, unissant leurs voix pour les parties d’ensemble et faisant entendre des personnalités vocales distinctes lors des solos, tous étant aguerris à ce répertoire.
Les sopranos Céline Scheen et Suzanne Jerosme unissent leur voix lors de duos brillants à la vocalité réjouissante. Le timbre arrondi de la première atténue quelque peu l’articulation du texte tout en préservant cependant un éclat aussi lumineux que sa présence. La voix claire, accentuée par l’usage de voyelles très ouvertes de la seconde, délivre les paroles dans un grand naturel.
Le contre-ténor Paul Figuier ouvre le bal en faisant entendre une voix ronde au vibrato délicat, phrasant les mélismes dans un détaché subtil. Utilisant rarement le registre de poitrine, ses notes graves restent parfois confidentielles, cependant, il affirme la partie d’alto dans les ensembles aux côtés de Mélodie Ruvio. La voix de contralto de celle-ci, aux couleurs chaudes, parvient dans une suavité porteuse d’apaisement contrastant avec les tutti éclatants.
Le ténor David Tricou saisit par la clarté de sa voix qu’il soutient d’autant plus à l’évocation des trompettes, jusqu’à produire des sonorités claironnantes. Tout en délicatesse, il s’afflige du silence des muses, sa volonté de les réveiller s’accompagnant cependant parfois d’une certaine raideur. Dans une complémentarité, le second ténor, Thomas Hobbs, fait entendre une voix sonore et ronde aux phrasés précis, délivrant les intentions du texte au plus près.
Les basses Edward Grint et Nicolas Brooymans soutiennent le socle harmonique des ensembles de leurs voix richement timbrées. Tous deux interviennent dans une projection de chaque instant, le premier doté d’une agilité assurée et le second d’un ambitus impressionnant (plus de deux octaves). Les notes graves -exceptée la plus basse- s’affirment dans des teintes métalliques et les aigus sont projetés avec autorité.
La direction de Damien Guillon, bien qu’indiquant clairement la battue, semble cependant davantage une invitation tant il accompagne les musiciens de sa présence attentionnée. Le continuo (clavecin, orgue, luth, violoncelle et contrebasse) s’exprime dans des agencements variés, correspondant aux émotions requises. L’orgue seul accompagne ainsi l’arioso plaintif du début de Why are all the muses mute?, alors que le clavecin est convoqué pour les tutti et les passages aux rythmes dansants. Les deux violons et l’alto chantent, se répondent et se rejoignent dans un équilibre sonore soigné.
Fortement applaudis, les musiciens offrent en bis le finale de From those serene and rapturous joys, « recevons la merveille du monde au son des trompettes et des cris de joie ». Si Purcell fait sonner des trompettes inexistantes, le public, lui, exprime sa joie véritablement.