Molière et Lully : Le Sicilien ou l'Amour peintre à l'Opéra de Reims
Entre la grande comédie du Malade imaginaire et la farce du Mariage forcé (deux spectacles dont nous avons rendu compte avec ces mêmes compagnies), la galanterie est au rendez-vous à l’occasion de cette semaine à Reims rendant hommage au comédien et dramaturge Molière, par la comédie-ballet en un acte Le Sicilien ou l'Amour peintre (en coproduction avec Angers-Nantes, Massy, Tourcoing, le Théâtre Montansier et le Centre de Musique Baroque de Versailles). Ce texte de Molière servit à l’origine, en 1667, de finale pour Le Ballet des muses de Jean-Baptiste Lully et Isaac de Benserade mettant en scène le roi Louis XIV et nombre de ses proches amis au château de Saint-Germain-en-Laye (ballet aux 13 entrées, sujet de divertissement avant tout, agrémenté de quelques petites friandises dramatiques et musicales).
En une heure à peine, le jeune Adraste (évidemment galant, car français), parvient à ravir la belle esclave grecque Isidore à son maître Don Pèdre (Sicilien sévère et jaloux) avec la complicité de son malicieux valet turc Hali : un scénario typique de la commedia dell’arte repris entre bien d’autres par Beaumarchais, Mozart, Rossini. En un temps si restreint, Molière et Lully dessinent les prémices de ce qui sera, bien plus tard, l’opéra-comique alliant théâtre et musique, aux chants et à la danse. Perpétuant ce rythme joyeux et direct, le metteur en scène Vincent Tavernier propose une version dynamique et gentiment drôle. Il y ajoute également de la poésie en incorporant un numéro de marionnettes lors de la sérénade nocturne. Le plateau a pour seul décor une partie de la façade de la maison de Don Pèdre, dont les murs ocres réalisés par Claire Niquet feraient presque entendre des cigales (grâce aussi aux lumières de Carlos Perez). Les comédiens ont ainsi champ libre pour courir sur scène, rentrer ou sortir en faisant claquer les portes ou en passant derrière la maison : champ libre pour créer un lien direct avec le public (Hali n’hésite ainsi pas à venir se cacher dans les rangs et sous les jambes des spectateurs). Les costumes d'Erick Plaza-Cochet, d’abord assez sombres deviennent très colorés en fin de soirée, et semblent plonger au début du XXe siècle, tout en marquant des styles nationaux (Turc, Grec, Français, Italien) mais visant à la compréhension et sans exagération.
Quatre comédiens de la Compagnie Les Malins plaisirs se donnent la réplique : Hali est incarné avec clarté et malice par Olivier Berhault, Adraste est doté du joli grain de voix de Laurent Prévôt qui joue volontiers avec les accélérations de sa déclamation pour manifester l’excitation de son personnage, Isidore est paré de la fraîcheur de Marie Loisel et Don Pèdre est interprété par Quentin-Maya Boyé, aussi posé qu’il peut être drôle en incarnant avec soin ce personnage ridicule.
Le trio de solistes chanteurs est issu du Concert Spirituel d'Hervé Niquet. Haute-contre, Clément Debieuvre démontre ses talents de comédien en prêtant sa voix claire, légèrement acidulée et aux aigus comme patinés, au musicien Philène et à l’hilarant "Homme castelet", esclave turc chantant « Chiribirida ouch alla » - un semblant d’italien pour distraire Don Pèdre. Le musicien Tircis, ainsi qu’un Maure ou un "homme-orchestre", est chanté par la taille François Joron, aux graves pas toujours suffisamment sonores mais bénéficiant d’un vibrato aidant le soutien et la finesse de sa ligne vocale. Enfin le Berger, également "homme-sandwich" est interprété par le baryton-basse François Héraud, à la présence vocale équilibrée, au chant nuancé et au timbre assez moelleux.
Participant à l’action comme figurants tout à fait actifs, les quatre musiciens du Concert Spirituel ajoutent rythme, vie et poésie à l’ensemble. Sous la direction fort discrète de la bassoniste Lucile Tessier, le théorbiste et guitariste Simon Waddell prend un plaisir visible à jouer sur scène auprès des comédiens, ainsi qu’avec ses deux collègues hautboïstes, Nathalie Petibon et Renata Duarte. Le public salue également les joyeux numéros chorégraphiés par Marie-Geneviève Massé, dansés par Adeline Lerme et Artur Zakirov, avec talent et malice comme il se doit.
La prestation réjouissante est aussi un hommage rendu (comme en témoignent de profondes pensées dans le programme) à l'amie et hautboïste Laura Duthuillé ayant tragiquement quitté l’aventure et disparu en janvier dernier.
Le public riant de bon cœur aux artistes et arts réunis rend hommage par ses applaudissements unanimes au rythme fluide et aux actions coordonnées de cette sympathique comédie galante.