L'Instant Lyrique de Lawrence Brownlee et Levy Sekgapane, duel virtuose Salle Gaveau
Réunissant en un même récital deux artistes qui sont à eux seuls des têtes d'affiches de premier ordre, la dynamique électrisante de ce concert est savamment construite sur la rencontre de leurs voix. Ils chantent d'abord chacun leur tour, mais déjà se passent le relais en s'encouragent, se tapant les mains ou dans le dos en se croisant, applaudissant depuis la coulisse, restant plus longtemps chaque fois sur scène après avoir chanté comme voulant demeurer à s'écouter, et réajustant même la hauteur du pupitre pour l'autre (alors qu'ils ne regardent qu'à peine leurs partitions)... avant de finalement rejoindre leurs voix dans des duos de virtuosité vertigineuse.
La rencontre est d'autant plus étincelante que ces deux ténors déploient une infinité de points communs et de nuances. Levy Sekgapane ne cesse de croître en qualités : en clarté de timbre, en souffle, en projection, en articulation, en aigus et suraigus évidemment (en tout, en somme). Le léger voile et grésillement initial de son timbre sont balayés dès la première cime vocale lyrique. Le ténor sud-africain vainqueur d'Operalia 2017 ne cesse alors de déployer ses moyens, vers l'aigu et le suraigu pour les airs les plus virtuoses mais également dans les couleurs crépusculaires de son médium pour les morceaux nostalgiques. Levy Sekgapane qui marchait dans les pas de Lawrence Brownlee (pour ses débuts à l'Opéra de Paris, celui-là travaillait une captation de celui-ci) partage ainsi désormais la scène avec lui.
Lawrence Brownlee offre pour sa part une prestation absolument constante, portée d'emblée par la grande noblesse de son phrasé, l'intensité sans faille de son soutien et ses élans évidents à travers tout l'ambitus (jusqu'au suraigu, bien entendu). Les élans même fulgurants vers l'aigu sont naturels et homogènes même en intense mezza voce (le tout sachant se réunir pour la fameuse messa di voce : conduite de voix crescendo/decrescendo en un souffle).
L'accompagnateur habituel de L'Instant Lyrique, Antoine Palloc déploie d'abord ses qualités pianistiques coutumières, inspirant et s'inspirant visiblement des phrasés des chanteurs, avec un jeu mélodieux et très caractérisé dans son contrepoint. Malheureusement, les derniers morceaux du programme et les premiers bis exigeant une virtuosité digitale devant égaler celle des ténors le trouvent à la peine. L'accompagnateur perd jusqu'au tempo, mettant Levy Sekgapane en grande difficulté et imposant à Lawrence Brownlee de reprendre les choses en main (ou plutôt le rythme en sa voix seule). Heureusement, les deux chanteurs acceptent -après ce froid jeté dans le public- d'offrir d'autres bis qui nourrissent à nouveau les acclamations de l'auditoire jusqu'à l'ovation debout : après les ballades et romances de Bellini, Donizetti, Rossini, Levy Sekgapane ouvre le répertoire vers la comédie musicale Les Misérables ("Bring Him Home") et Lawrence Brownlee vers le Spiritual "All Night, All Day". Les deux ténors chantent ensuite et finalement, pour une deuxième fois de la soirée, le sommet "Ah vieni", duo de l'Otello de Rossini que nous vous présentions dans notre série #AirduJour