Haendel dirigé par Philippe Jaroussky au Théâtre des Champs-Élysées
Emőke Baráth et Philippe Jaroussky ne sont pas ce soir partenaires de chant (ou peu s’en faut), mais bien chanteuse et chef d’orchestre. Pour la première fois au Théâtre des Champs-Élysées, le contre-ténor “tourne le dos au public” (selon ses propres mots) pour diriger l’Ensemble Artaserse et la musique de Haendel qu’il connaît si bien et dont il dirigera en mai, sur la même scène, Jules César en Egypte.
Une première également pour Emőke Baráth qui, bien qu’elle aussi habituée de cette scène, y chante seule pour la première fois, à l’occasion de la sortie de son nouvel album Dualitá, consacré aux héroïnes de Haendel -héroïnes mises à l’honneur lors de la deuxième partie du concert (Rodelinda, Alcina, Cleopatra), la première étant, elle, consacrée aux héros masculins (Sesto, Radamisto), ce que démontrent les atours de la soprano : un complet noir pour le début du concert, une longue robe après l’entracte.
Après l’ouverture de Radamisto, la soprano hongroise entre sur scène pour chanter “L’aure che spira” de Giulio Cesare. Tout de suite féroce, elle entame son aria, emportée dans la vivacité de la musique. La voix est riche, profitant d’un timbre doté d’une large palette parfois bien sombre, d’aigus amples et nuancés avec un léger vibrato. Le chant est souple et profond, bien que manquant, de temps à autre, d’une certaine clarté dans l’articulation due à la rapidité de l'enchaînement des notes, ce qui n’empêche pas une fluidité et une aisance appréciables. À la fougue s’enchaîne la douleur de la plainte, notamment avec Alcina, vibrante et saisissante. L’émotion est bel et bien présente, tout en restant maintenue dans la finesse et la précision du baroque touchant certains spectateurs jusqu’aux larmes tout du long, et la soprano maintient toute la salle en suspens, alors qu’elle achève Deidamia.
À ses côtés, Philippe Jaroussky dirige l’Ensemble Artaserse avec une vigueur et un enthousiasme débordant, conférant à l’orchestre une énergie folle pour rendre l’éclat de la musique de Haendel, sans pour autant se défaire de la finesse de l’ensemble et y insérant même une délicatesse charmante, et élégante (notamment dans les Concerto grosso op. 3 et 6). Le plaisir de revêtir le costume du chef d’orchestre, nouveau rôle entamé maintenant depuis près d’un an, est toujours aussi visible.
Il retrouve cependant sa voix pour chanter les duos de Rodelinda et Giulio Cesare avec Emőke Baráth, offrant au public le plaisir d’un chant toujours aussi clair, agile et se mêlant harmonieusement à la voix de la soprano, jusqu’à parfois n’en faire plus qu’une. Les deux chanteurs achèvent ainsi le concert sous une liesse d’applaudissements. Emőke Baráth, émue au possible, salue le public et manifeste toute sa joie en s’exclamant combien elle est « heureuse d’être ici, avec vous ».
Enfin, la soprano reprend le rôle de soliste principale pour le bis et Philippe Jaroussky retourne à la direction, dédiant notamment cet air d’Amadigi di Gaula (“Ah! spietato! e non ti move”) « à ceux qui, en ce moment, vivent des temps difficiles ». Enfin, le concert s’achève sous un dernier tonnerre d’applaudissements, de bravi et même d’exclamations retentissantes en hongrois lancées depuis le public.