Nadine Sierra débute à Gaveau en Be Classical
La diva Sierra étincelle et éblouit visiblement le public, par sa voix et par ses robes d'or puis de diamant (la première écaillée, la seconde bleu nuit constellée de brillants, étincelante comme ses boucles d'oreilles en croissants de lune : une Reine de cette nuit pour chanter Mozart, des tubes du bel canto italien et du beau chant français, mais également West Side Story ainsi qu'une incursion en terres ibériques). Le programme choisi parmi différents opus se compose de morceaux fameux et très riches tout en offrant les émotions très contrastées que contient l'opéra. Les deux airs de Juliette (le premier ouvrant le récital, le second concluant la première partie) résument à eux seuls la richesse de ce parcours, comme un opéra en accéléré : depuis "Je veux vivre" jusqu'à "Ô Roméo ! je bois à toi !" (le poison).
Le velours du timbre et la tenue de l'ancrage vocal ne limitent aucunement l'agilité et les ornements de ce chant. Le souffle nourrit toute la longueur des émotions et des phrasés (jusqu'aux tenues finales immensément allongées). La matière manque toutefois dans le grave, tandis qu'un peu de souffle aide le suraigu à se maintenir et se projeter, alors que l'aigu clair et coloré n'est que son et pureté d'expression (aussi bien dans les longues tenues que dans les cadences improvisées où la soprano rajoute de nombreux ornements).
Nadine Sierra, en digne vedette américaine, fait de ce récital un tour de chant avec des discours emplis d'émotions appelant à la paix et au vivre-ensemble entre les morceaux, mais surtout, durant les morceaux, une incarnation d'actrice. L'interprète détourne régulièrement la tête, pour se découvrir à nouveau avec un visage expressif différent correspondant à l'émotion du personnage : solennelle, souriante, sensuelle, surprise, pâmée, apeurée, résolue, rieuse (rien que pour l'air "E Strano" de La Traviata).
Pour la partie en duo, cette Violetta est accompagnée par le ténor Diego Godoy en Alfredo. Le chanteur chilien revient en cette Salle Gaveau où il était déjà, 6 jours plus tôt, aux côtés de Placido Domingo pour I due Foscari. Installé au balcon côté jardin, il déploie ses accents très lyriques et très toniques (parfois trop appuyés pour la matière qui suit immédiatement, mais qu'il tient et déploie avec force dévouement sonore).
L'Orchestre Appassionato porte bien son nom sous la baguette de Mathieu Herzog : dans les préludes et intermèdes symphoniques comme pour accompagner la chanteuse, les instruments s'élancent avec fougue au service de la musique. Une part (relative) de la pâte sonore et de la précision métronomique est troquée au plein profit de dynamiques, parfois presque nerveuses dans les épisodes dramatiques, ou, dans un même esprit de dévouement, puissamment vibrant de mélancolie. La harpe, cependant, contraste par un son très épais et les cuivres sont en difficulté (notamment pour suivre et soutenir le souffle si long et nourri de la chanteuse).
Les lumières LED disposées en diadème allongé dans cette scénographie Studio Épatant et Collectif Scale accompagnent les morceaux avec encore davantage de sobriété et de continuité que pour les précédents Be Classical (Nadine Sierra étincelle bien plus que les lumières). Juliette est noyée de bleu (peut-être le sang bleu ou la mer de passion), Gilda de rose et de rouge (la transition de la candeur enfantine à la passion) puis rouge et rose pour le chemin inverse fait par La Traviata.
Mais ce soir plane aussi au-dessus du parterre l'ombre d'une caméra accrochée à une longue perche, qui s'avance vers la chanteuse et recule au fond de la salle, monte et descend : Jesse Mimeran annonce avec une légitime fierté que le concert doit être diffusé sur TF1 dans les 6 mois (le jour et l'horaire n'ont pas encore été décidés).
La fin du programme accroît le triomphe de la soirée, avec d'autres tubes et trois bis ("Depuis le jour", "O mio babbino caro" et de nouveau "Me llaman la primorosa" de la zarzuela El barbero de Sevilla). Et même si le répertoire espagnol et portugais est loin d'avoir le même ancrage lyrique (notamment car il sollicite beaucoup le grave), l'investissement complet de la chanteuse fait se lever le public dans une standing ovation.
Après le Be Classical de Ludovic Tézier et Cassandre Berthon, puis celui de Roberto Alagna et donc cette soirée avec Nadine Sierra, de nombreux spectateurs prennent d'ores et déjà rendez-vous pour le prochain : le Be Classical "Haut les Femmes !" avec Olga Peretyatko et Valentina Nafornita, ce 8 mars 2022.
Standing ovation pour la talentueuse soprano American Nadine Sierra ce soir Salle Gaveau à Paris pic.twitter.com/mUzXayg8np
— Rabah Aït Hamadouche (@rabahAH) 18 février 2022