Confraternités nationales à La Seine Musicale
Le programme de ce concert est conçu dans une double direction : une sensible spiritualité du programme et la présence rare du Chœur de Chambre Philharmonique Estonien, spécialiste du répertoire du compositeur Arvo Pärt (lui-même estonien), et qui a souvent fait les créations de celui-ci. Dans cette perspective, la cheffe Kristiina Poska, d’origine estonienne aussi, livre une interprétation juste et fédératrice. La religiosité dans la communion de ce moment est manifeste.
Le concert est précédé d’un mot de la direction, visiblement émue par ce retour des artistes sur (La) Scène (Musicale), et qui se félicite d’avoir pu les rassembler, ajoutant ici que la présence de l’Orchestre Symphonique des Flandres (dont la direction est assurée à l’année par Kristiina Poska), depuis longtemps souhaitée, avait été difficile à obtenir. Dans le même esprit, la cheffe présente le programme en insistant sur l’unité mise en avant, en présentant le Requiem comme un moment fédérateur, suivant les pièces d’Arvo Pärt. Les Silouans Song et les Adam’s Lament ont en effet en commun avec le Requiem de servir le sujet religieux par l’harmonie, répondant à la douleur des textes bibliques par une certaine idée de l’union musicale.
Kristiina Poska domine en effet le concert, en associant ces deux ensembles, chœur et orchestre, sans oublier les solistes. La cheffe travaille ici tout en précision, préférant dominer par l’interprétation plutôt que physiquement, et jouant véritablement avec les masses temporelles des pièces, tout en donnant à chacun sa voix, notamment le violon solo Jan Orawiec, à l’enthousiasme communicatif, dans une finesse qui frôle parfois une légère faiblesse. Concernant le chœur, les sopranos s’en sortent particulièrement, avec des voix chaudes et perçantes, dans une douceur mêlée de puissance. Les basses, et plus généralement les voix masculines, ont ici du mal à faire sortir leurs parties respectives. Ils sont souvent trop faibles, et parfois même à peine audibles, ce qui est dommage car leurs grandes capacités techniques sont sinon perceptibles, notamment dans les Adam’s Lament, en duo avec les pizzicati des cordes. Les contraltos et les ténors, par leur domaine central, apportent alors un dynamisme particulièrement bienvenu dans l’énonciation. De manière plus générale, le chœur s’équilibre notamment entre masses de volumes, mais aussi dans l’esthétique vocale choisie. La présence du chant grégorien dans leur répertoire imprègne l’interprétation, avec des attaques/terminaisons soufflées et une grande rondeur dans les tenues.
Les solistes se révèlent assez inégaux. La soprano Hana Blažíková, bien que timide dans son interprétation, sait déployer une puissance en apportant sa chaleur presque voluptueuse, portant l'auditeur dans l'alternance entre tenues intenses et vibratos naturels dans les terminaisons, avec toujours beaucoup d’émotion. Le baryton Roderick Williams se réserve beaucoup (trop), et ne dévoile que tardivement l’aspect caverneux de son timbre. Il manipule les techniques avec intelligence, faisant usage d’une voix presque parlée, mais se laisse parfois emporter par une subtilité un peu excessive, alors que son assurance colle mal avec l’harmonie simple mise en avant par Kristiina Poska. C’est celle-ci qui triomphe dans les dernières mesures du Requiem, et du concert. Le public se lève, apaisé mais enthousiaste, dans de longs applaudissements qui s’étalent jusqu’à la sortie définitive des artistes.