Déclinaisons amoureuses autour de Lieder par l’Opéra Studio du Rhin
Une quinzaine de Lieder et une “Heure Lyrique” ne sont pas de trop pour embrasser le vaste thème de l’amour : la rencontre, l’élan, la déclaration ou encore la séparation d’avec l’être aimé façonnent les œuvres choisies de ce programme, Lieder presque exclusivement composés en allemand, du début du XIXème siècle jusqu’à la première moitié du XXème siècle, à partir, entre autres, des poèmes de Goethe, de Heinrich Heine, ou encore d’Adelbert von Chamisso. Si le genre du Lied allemand est d’abord cantonné à la sphère privée, et habituellement consacré à la voix seule et à l’accompagnement pour piano, le programme permet d’évaluer l’évolution stylistique et l’ampleur du genre, de son commencement, avec Schubert et Carl Loewe, puis son développement, avec ceux de Schumann, de Mendelssohn où figurent des duos, et ceux de Brahms, enfin son prolongement vers la mélodie française de Liszt (Oh ! Quand je dors), jusqu’à son plein épanouissement avec les Vier letzte Lieder (Quatre derniers Lieder) de Richard Strauss écrits pour orchestre en 1948. Au travers des pages moins connues de la compositrice et chanteuse allemande Luise Greger (1862-1944), le contenu du programme souligne également le rôle social du genre qui permit aux femmes de se révéler. Sandrine Abello, la Directrice musicale de l’Opéra Studio précise que cette Heure Lyrique s’inscrit dans la continuité d’une masterclass d’une semaine particulièrement dense, avec le baryton Christian Immler (spécialiste du Lied allemand) durant laquelle les artistes ont travaillé ce programme.
Très sobre et soutenue, la voix de la mezzo-soprano chinoise Liying Yang se pare d’une teinte feutrée et chaude. Par son regard plongé dans celui du public, sa diction très nette et le souffle qui entrecoupe son phrasé, elle maintient une tension dramatique jusqu’au bout du chant. Si ses graves pourraient être plus sonores, son vibrato est riche et irisé.
En duo, le baryton Damien Gastl surprend d’abord par sa posture un peu raide, mais qui gagne vite en sûreté. La rondeur des graves, les aigus affûtés et son sourire enjôleur siéent pleinement à l’allure théâtrale et proche du Volkslied (chant populaire) Tom der Reimer de Carl Loewe où l’amant s’éprend de la reine des Elfes. Jusqu’au bout des lèvres, Damien Gastl offre une attention particulière à la prononciation. Celle-ci est cependant moins soignée dans la mélodie française de Liszt –la seule de cette Heure Lyrique– où les « r » sont un peu amollis, mais où les tenues suspendent l’oreille jusqu’au bout et font échapper de vives acclamations de la part du public.
Le timbre clair et transparent, la soprano Lauranne Oliva insiste sur les consonnes, laissant les voyelles peu distinctes. Sa voix s’élance aisément dans les aigus, tandis que les médiums et les graves conservent leur pleine sonorité. D’une grande intensité, son regard soutient et suspend celui du public.
Elsa Roux-Chamoux aborde d’un ton presque neutre le premier Lied du cycle schumannien –sans doute pour évoquer l’aveuglement de la jeune amoureuse– puis sa ligne vocale s’étoffe, et se pare de mélismes victorieux. Avec une diction parfaitement claire, la mezzo-soprano semble peser chacune de ses inflexions et épouse avec une force mesurée la profondeur du phrasé.
D’une précision égale, y compris dans les passages harmoniques, la pianiste coréenne Rosa Ji-Hyun Kim fait preuve d’une grande efficacité et souplesse de jeu.
Sous les applaudissements répétés, les jeunes artistes livrent en bis une interprétation pleine de légèreté du Lied Seligkeit (Félicité) de Schubert où chaque strophe est chantée dans une langue différente mais pour délivrer un même message : « Je veux être toujours avec lui/elle ».