Michael Spyres se mesure au Tristan de Wagner à l’Opéra de Lyon
La première partie du concert consacrée aux sombres, voire crépusculaires Métamorphoses de Richard Strauss donne un peu le ton de la matinée. Cette œuvre courte (30 minutes) fut composée au crépuscule de sa vie (81 ans) par le compositeur allemand profondément marqué par les événements et la violence de la seconde guerre mondiale. La direction de Daniele Rustioni met pleinement en valeur la plénitude et la beauté des cordes de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, qui dans cette œuvre se conjuguent ou se répondent au sein d’une musique qui draine la mélancolie et le souvenir, dans un espace-temps dénué d’éclats, mais marqué par quelques soubresauts.
Il peut paraître ensuite frustrant de ne retrouver "que" le deuxième acte de Tristan et Isolde, tant cet ouvrage se conçoit dans sa totalité. Mais Michael Spyres tenait à se mesurer pour la première fois à Tristan au sein d’un acte qui convient plus concrètement à ses moyens actuels de « baritenor » et dans des limites qu’il juge suffisamment raisonnables. Il déploie ainsi un art du chant souverain qui résiste à toute difficulté, montrant une plénitude vocale toujours radieuse sur la totalité du caractère, une densité au niveau du timbre et du son qui jamais ne se relâche, ce jusque dans les extrémités. L’aigu se déploie sans effort, ardent et stable. La caractérisation du personnage de Tristan est déjà présente, presque aboutie, ce plutôt dans les méandres du duo d’amour que dans les parties qui sollicitent plus d’ampleur. L’héroïsme peut effectivement encore s’affirmer tout comme le métal de la voix, éléments qui permettent d’aborder avec certitude la totalité de ce rôle écrasant avec toutes les composantes requises. L’avenir dira si telle est vraiment la volonté de Michael Spyres.
La soprano Aušrinė Stundytė propose une Isolde constamment enfiévrée, à l’émission certes large, sans posséder toutefois la plénitude ici pleinement requise sur tout l’ambitus du rôle. Le bas de la voix demeure trop en retrait et certains aigus frisent le cri. Pour autant, cette artiste, vraie “bête de scène” (son interprétation hallucinée de la Lady Macbeth du district de Mzensk de Chostakovitch à l’Opéra Bastille en 2019 a marqué durablement les esprits), ne laisse jamais indifférent jusque dans ses défauts, bien au contraire.
Tanja Ariane Baumgartner impose une Brangäne de caractère en lien avec ses amples moyens de mezzo-soprano dotés d’un timbre sombre et d’aigus percutants. Mais cette voix capiteuse peine aussi à rendre magique les appels aux deux amants, justement par un trop plein vocal peu subtil. La basse chantante Stefan Cerny livre un récit du Roi Marke de tradition, un rien monocorde toutefois dans le déploiement des couleurs et des transitions, sans cette désespérance affective qui le submerge. Rupert Charlesworth, dans les quelques mesures dévolues à Melot, fait valoir une voix de ténor claire et presque claironnante. Et la partie de Kurwenal, qui au deuxième acte se réduit à une seule et unique réplique, est confiée au baryton Lukáš Zeman (dont la voix articulée lui permet aussi de chanter dans le répertoire baroque).
Daniele Rustioni impose d’emblée un tempo rapide et dynamique, attentif aux différents pupitres mais aussi à la narration d’ensemble. Cette direction délaisse toutefois la part enivrante et les chants de l’âme poétique wagnérienne.
Le public lyonnais réserve ses plus vives ovations à tous les interprètes et en premier lieu au ténor principal. Ce concert marque donc ainsi un nouvel événement dans les engagements parfois surprenants ou même insolites de Michael Spyres, qui abordera à Rome en version concertante le 12 mars prochain le rôle de l’Empereur Altoum dans la Turandot de Puccini avec l’Orchestre de l’Académie Nationale Sainte-Cécile dirigé par Antonio Pappano avec à ses côtés, une distribution superlative (Sondra Radvanovsky pour sa prise du rôle-titre, Jonas Kaufmann en Calaf, Ermonela Jaho pour Liu et Michele Pertusi dans le rôle de Timur). Un événement qui sera enregistré et dont nous vous reparlerons, tout comme pour les deux engagements de Michael Spyres au Festival d’Aix-en-Provence cet été : Idoménée de Mozart et Norma de Bellini.