Histoire de soldat, de diable et d’anges au Collège des Bernardins
Depuis le XIIIe siècle, le Collège des Bernardins est un lieu d’enseignement et de recherche. Si la Révolution a malmené son sacerdoce premier, l’institution a retrouvé sa vocation en devenant un lieu historique de rencontres et de culture ouvert à tous. Grâce à la collaboration étroite entre les différents pôles qui le composent, le public est convié à réfléchir autour de valeurs universelles, et plus particulièrement sur le bien et le mal à l’occasion du deuxième opus de son Festival pluridisciplinaire. Pour évoquer cette dualité en musique, le chef d’orchestre Clément Mao-Takacs et son Secession Orchestra proposent un programme assez original et éclectique mais tout aussi cohérent pour faire dialoguer le diable et les anges.
En première partie, c’est le diable qui se fait d’abord entendre avec L’Histoire du Soldat d’Igor Stravinsky et par la voix de la comédienne Fanny Ardant. Consciencieuse, quoique sans doute peu habituée à suivre la partition d'un texte rythmiquement mesuré et une direction musicale, la comédienne semble toujours un peu surprise lors des départs de ses parties. Néanmoins, au cours de la soirée, portée par ses articulations et sa voix au grain suave, elle se détache un peu de son texte et paraît prendre de plus en plus d’aisance et de plaisir à réciter en complicité avec les musiciens. En grande professionnelle, Fanny Ardant sait se rattraper élégamment lorsque sa lecture se fait un peu trop en diagonale, dupant aisément son auditoire pour la plupart envoûté. Les sept jeunes musiciens qui l’accompagnent se montrent précis et bien conscients des phrasés. Ils communiquent leur plaisir de jouer lors des danses finales, en particulier le Ragtime entre le Soldat et la Princesse ou la danse endiablée qui suit. La direction de Clément Mao-Takacs ne manque pas de surprendre : tantôt élégante, souple et large, ou bien très droite, elle attire le regard du spectateur. Si ces gestes vifs peuvent plaire parce qu’ils sont attentionnés et attentifs, ils surprennent toujours quant à leur irrégularité (tantôt en avance, tantôt en retard sur la battue métronomique et les départs). L’orchestre habitué et toujours attentif sait s’inspirer du tout avec homogénéité.
En seconde partie de concert, la parole est donnée aux anges avec la Symphonie n°4 « Los Angeles » d’Arvo Pärt, invoquant l’invisible par ses harmonies longues, énigmatiques et intenses. L’extase arrive en toute fin de soirée avec le (trop court) Lied final « Das himmlische Leben » (La Vie céleste) extrait de la Symphonie n°4 de Gustav Mahler, interprété par la jeune soprano Axelle Fanyo. Bien qu’elle ait sa partition sur une tablette qu’elle tient dans les mains, la chanteuse s’en détache facilement pour partager son phrasé expressif et sensible. Sa voix se fait présente avec équilibre, résonnant agréablement sous les voûtes de la nef du collège. Chaude et claire dans toute la tessiture, elle est particulièrement moelleuse dans les graves, touchante dans les médiums et caressante dans les aigus. Sa diction très soignée donne du sens à son texte, qu’elle chante sans précipitation et cependant toujours très en place. L’orchestre l’accompagne par des couleurs romantiques très suaves, contrastant avec les mélodies et orchestrations des œuvres précédentes.
Le public salue puissamment les artistes qui, par la voix de Clément Mao-Takacs, se disent très heureux de le voir si nombreux et si chaleureux en ces temps difficiles. Emporté par toutes ces couleurs et harmonies célestes, le Bien et surtout le Beau l’emportent assurément ce soir.