Léo Vermot-Desroches, les Schumann et Werther salle Cortot
Le ténor Léo Vermot-Desroches est un artiste à suivre (en l'ajoutant à vos favoris en haut de sa page Ôlyrix) comme il a déjà été repéré sur nos pages, durant de prometteuses auditions au Studio Bastille pour une nouvelle Génération Opéra, et avant cela récompensé au 9ème Concours international de chant baroque de Froville. Le jeune artiste, qui a intégré le Conservatoire National en 2017, puis en 2019 l'Académie Jaroussky (avec laquelle le Centre de musique de chambre de Paris présente ce récital) et l’Atelier Lyrique d’Opera Fuoco en 2021, chantera Scaramouche et un Officier dans Ariane à Naxos de Strauss par Clarac et Deloeuil à Limoges, puis le Premier Juif dans Salomé au Festival d’Aix-en-Provence. Autant de preuves d'une maturité musicale qui s'exprime pleinement dans ce récital Schumann (Robert mettant en musique le conteur Andersen et Nikolaus Lenau, Clara en-chantant des Volkslied-Chants populaires).
Léo Vermot-Desroches propose un allemand de germanophone, ses phrasés semblant d'abord haletants mais en raison de l'expressivité des accents et de tout ce que peut permettre une conscience complète de cette prosodie. De la projection affirmée jusqu'au pianissimo du bout des lèvres, la voix trouve, dans chacun de ses registres, les intenses zones de résonances de cette salle généreuse. Les accents sont toujours sûrs et pertinents, en lien avec le texte et la texture vocale (d'autant qu'ils forment un riche oxymore avec l'articulation et résonance buccale très noblement arrondie).
Son pupitre levé très haut ne lui sert pas tant pour suivre la partition que pour un effet théâtral : celui consistant à suivre le texte comme sur un parchemin ou à se reculer légèrement, comme pour envisager de se cacher derrière un pilastre tout en étant vu. Quelques élans vocaux et corporels traduisent même le "violon raclant" et le "cœur brisé en mille morceaux" chantés dans l'un des poèmes.
L'ambitus de l'interprète est plein et entier, des graves barytonnant jusqu'aux trois aigus marquants, qui sont puissants mais raccourcis ou plafonnés. Les deux premiers font croire qu'il s'agit d'un effet expressif en lien avec le texte, le troisième montre qu'il s'agit encore d'une limite du registre supérieur qui laisse heureusement encore des marges de progrès à ce jeune artiste.
Au piano, Yun-Ho Chen (également de l'Académie Jaroussky) déploie les oxymores du romantisme : des ballades élancées avec souplesse, un contrepoint riche en pédale de résonance, sans craindre les imprécisions que la fougue peut entraîner.
Le public acclame les artistes de ce récital, comme ils le font ensuite du deuxième temps de la soirée, intitulé "C'est la faute à Werther !". Ce spectacle chambriste en ombres chinoises montre l'influence et même l'obsession causée par le tragique héros de Goethe sur un siècle, sur tout un continent (et au-delà).
Un quatuor avec violon, alto, violoncelle et piano (respectivement tenus par Luka Ispir, Paul Zientara, Johannes Gray, et Ionah Maiatsky), se déplace, souvent de dos et dans la pénombre, habillés avec un manteau noir emprunté à Caspar David Friedrich qu'ils enlèvent finalement pour révéler des chemises jaunes (en référence au fameux gilet de Werther). Le violoniste et l'altiste (mais aussi le violoncelliste en changeant de tronc pour s'asseoir) parcourent ainsi le plateau, s'approchant et s'éloignant pour reformer différentes configurations et équilibres sonores. Ils cheminent surtout en compagnie de Werther, à travers les œuvres qu'il a inspirées : un quatuor de Brahms, un trio de Beethoven et de Schubert, Kreisleriana pour piano de Robert Schumann et un trio de Clara Schumann.
Une soirée où l'éternelle et tragique jeunesse de Werther et des Schumann aura pleinement inspiré la jeunesse d'interprètes d'aujourd'hui appelés à une longue carrière.