Mese Mariano & Suor Angelica à Liège : des frissons et des larmes
Mese Mariano, rareté signée Umberto Giordano (principalement connu pour son Andrea Chénier), aux pages fortes et à la grande finesse d’écriture, prend ainsi place dans un monastère situé au cœur de la cité napolitaine dont les paysages s’affichent en arrière-plan : la citadine Carmela y fait ainsi entrer le monde extérieur auquel elle appartient. A l’inverse, le cloître où se tient Suor Angelica, deuxième opus du Triptyque de Puccini, renforce la sensation d’emprisonnement de ce personnage qui a pris le voile contre son gré, par pénitence. Un quatrième mur descend même des cintres, matérialisant physiquement cet enfermement. Les riches costumes signés Teresa Acone situent l’action à l’époque de la création de ces opus (respectivement 1910 et 1918), seuls les masques portés par les choristes et maîtrisiens imposent leur anachronisme. La direction scénique est fine : les drames poignants peuvent ainsi dérouler leur implacable mécanisme. Ces opus se ressemblent de fait, dans un effet de miroir : deux mères font face à la mort de leur enfant dont elles sont séparées. Dans un cas, l’enfant est enfermé et la mère n’est pas informée du décès (pieux mensonge qui interroge), le droit de le voir lui étant simplement refusé. Dans l’autre, c’est la mère qui est isolée, et qui apprend la terrible nouvelle par l’odieux silence faisant suite à sa question désespérée : « Il est mort ? ».
Cette sensation d’enfermement se retrouve dans la musique : de fait, la cheffe Oksana Lyniv prend elle-même place dans une cage en plexiglas la séparant, pour des raisons sanitaires cette fois, des musiciens de l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie. La jeune cheffe semble puiser au plus profond d’elle-même les émotions que distille l’orchestre, chantant de toute son âme avec les chanteurs. La phalange produit un son tendre et lyrique, arrachant frissons et larmes du public. Les enfants de la Maîtrise de l’Opéra Royal se montrent touchants et très justes.
Serena Farnocchia a la lourde tâche de porter les rôles principaux des deux opus : Carmela et Sœur Angélique. Sa voix relâchée aux reflets sombres s’élargit dans de grands élans lyriques ou s’envole dans des aigus tranchants. Son vibrato est intense, porteur de la détresse de ses personnages. Le souffle est long, portant des lignes éloquentes. Sa fragilité est incarnée physiquement, dans sa posture et sa gestique.
Violeta Urmana s’appuie sur une voix bouillonnante, au timbre chaud et dur, au vibrato remuant. Elle se montre aussi touchante en Mère supérieure dans le premier opus qu’intraitable en Princesse dans le second. La voix d’abord déstabilisée, elle parvient au fil de son unique scène de la seconde partie à assoir sur ses graves souverains une dureté aristocratique et un phrasé sentencieux.
Sarah Laulan dispose d’une voix bien projetée, au vibrato rond. Sa sombre et duveteuse assise sur le bas-médium offre à sa voix la chaleur que Sœur Pazienza offre à Carmela ou l’autorité de la Sœur zélatrice. La Comtesse d’Aurore Bureau déploie, dans sa robe fastueuse, une voix de velours, rouge, ferme, bien émise et au vibrato volubile. En Maîtresse des novices, sa voix montre plus de fermeté par un placement plus haut, tandis que son timbre se noircit. En Sœur Cristina, Julie Bailly peint un personnage humain, à la voix veloutée, profonde, appuyée sur un léger vibrato. A l’inverse, elle se métamorphose en Abbesse pour camper une femme sans cœur. Sa voix, alors aplatie, reste riche en timbre.
En Sœur Celeste puis Sœur Géneviève, Morgane Heyse apporte sa voix chantante et satinée, au timbre fruité et appuyée sur l’aigu. Son vibrato est léger, son phrasé volontaire, le souffle long. Natacha Kowalski est Sœur Marie puis une Sœur quêteuse. Sa voix est fine mais bien assise dans les graves, appuyée sur un phrasé vif.
Seul homme de la distribution, Patrick Delcour en Don Fabiano expose une voix ferme, bien assise, développant une diction travaillée. La distribution est complétée par Alexia Saffery (Novice) avec sa voix pincée, Beatrix Papp (Infirmière) à la voix bien émise et profonde, creusée par son vibrato, et Réjane Soldano (Sœur Dolcina), à la voix positionnée haut.
Avant de mourir sous l’effet du poison, Sœur Angélique en appelle à la Vierge Marie pour être sauvée de la damnation. Celle-ci lui apparaît, accompagnée du fils perdu, petit ange masqué apportant la rédemption. Les 200 spectateurs (cette soirée de première est la dernière date avant la levée de cette jauge en Belgique) témoignent autant qu’ils peuvent de l’émotion procurée par ces deux ouvrages. Pour ceux qui ne pourraient s’y rendre, la production pourra être découverte à la mi-février, en streaming sur Ôlyrix.