Trois contre-ténors pour un concours de virtuosité à l’Opéra de Versailles
Si la grande mode des compétitions des castrats italiens conquit l’Europe entière au XVIIIe siècle, la France semble en être restée partiellement éloignée. Toutefois, elle n’y fut pas moins sensible, admirant certaines de ces véritables vedettes, de passage entre Rome, Londres et Dresde. C’est justement avec ces airs de bravoure écrits spécialement pour eux qu’est composé le programme du concert de ce soir. Après une captation vidéo et un enregistrement dans la Galerie des Glaces, le public peut enfin vivre ces feux d’artifice vocaux sous les ors de l’Opéra Royal de Versailles.
Le chanteur alto Filippo Mineccia interpelle son auditoire déjà par sa présence théâtrale. De sa voix particulièrement savoureuse dans les graves, agréablement soyeuse et ronde dans les médiums, l’artiste italien exécute ses vocalises avec maîtrise. Il éblouit par ses aigus ronds, très sonores sans néanmoins d’acidité. Ses lignes sont soutenues telles des caresses, malgré les sauts de registres acrobatiques de La Spartana generosa (Johann Adolf Hasse). Sa voix sait s’imposer lors des airs en duo ou trio mais peut parfois manquer d’homogénéité selon son placement vocal. C’est lors de son autre air en solo, le touchant “Alto Giove” du Polifemo de Nicola Antonio Porpora, que son expressivité sensible sert sa délicatesse.
Le mezzo-soprano Valer Sabadus commence par un numéro extrêmement délicat (et célèbre), “Lascia la spina, cogli la rosa”. Sans qu’il ait eu la possibilité de se mettre en voix avec un air plus facile, il force l’admiration par son interprétation pleine de finesse, d’un aigu filé et suspendu. Son chant peu timbré ferait presque penser à la voix d’un enfant, empreinte d’une simplicité et même d’une authenticité tout à fait touchante. Le chanteur roumain ne manque également aucunement de présence et captive le public, qui n’ose émettre un seul souffle de peur de rompre l’enchantement. Il séduit aussi en incarnant le Serse de Haendel, par son texte limpide et la « rage dramatique » dont il fait preuve, enthousiasmant les spectateurs.
Dès son entrée sur scène, le jeune sopraniste vénézuélien Samuel Mariño fait sensation, avec sa veste en strass et sa longue jupe à carreaux, qu’il troque contre un pantalon de strass argenté en seconde partie. Sa forte personnalité ravit visiblement le public, par son aisance scénique tout autant que vocale. Ses traits se font si agiles qu’il semble gazouiller tel un oiseau. Il en joue avec malice, prenant grand plaisir à rivaliser avec ses collègues et les instrumentistes, avec lesquels il partage une évidente complicité. Son timbre, toujours très homogène, manque un peu de présence sonore dans les trios. Néanmoins, la finesse et la clarté, particulièrement de ses aigus, arrachent les bravi des auditeurs conquis par “Tra le procelle assorto” du Cleopatra e Cesare de Carl Heinrich Graun et “Vo solcando un mar crudele” d’Artaserse (Leonardo Vinci).
Loin d’être des rivaux, les trois contre-ténors partagent quelques airs en duo ou en trio, en étant chacun complémentaires des autres dans des feux d’artifices vocaux, éblouissants de virtuosité.
Pour les accompagner, ils peuvent compter sur la pétillance et l’investissement des musiciens de l’Orchestre de l’Opéra Royal. La direction active et très engagée du violoniste Stefan Plewniak permet d’apprécier hautement les prises de risque de cet ensemble, en effectif relativement réduit (16 musiciens). Sans manquer de précision et de transparence, l’orchestre ose prendre des tempi rapides, valorisant ainsi l’agilité des chanteurs sans jamais les mettre en difficulté. Les musiciens se montrent d’ailleurs très attentifs, aux intentions et aux équilibres. Ils montrent également une grande complicité entre eux et avec les solistes, outre ce plaisir musical évident par leurs sourires et regards. Les œuvres bénéficient de reliefs et même de surprises, donnant toute la théâtralité qu’exigent ces airs de démonstration.
Alors que le public applaudit encore chaleureusement, le continuo débute la basse obstinée d’un premier joyeux bis, Sound the trumpet de Purcell, puis accompagne le déchirant et très sensible “Pur ti miro” de Monteverdi. Si les solistes chantent tous trois en troisième bis : « il deviendra bientôt évident qui de nous est le vainqueur » (finale de l’air en trio du Germanico in Germania de Porpora), le véritable gagnant de cette soirée éclatante est le public, se levant même pour saluer les vedettes.