Like Flesh : retour vers la nature à l’Opéra de Lille
Femme de bucheron devenue arbre
Cette création ne cite pas le terme mais assume l’esprit “écoféministe”. La destruction de l’environnement opérée par le bûcheron se retrouve dans sa relation avec sa femme. Le livret est à la fois très simple dans sa trame et énigmatique dans sa métaphore (petit comme une graine et touffu comme une forêt) : racontant l’histoire d’un couple chamboulé par l’arrivée d’une jeune étudiante, tout en développant des images écolo-mentales puissantes jusqu’à générer une forme de répulsion à l’égard de cette nature vorace reprenant tous ses droits. Le lien entre tout cela s’opère grâce à la référence aux Métamorphoses d’Ovide, où les femmes se changent en végétaux pour échapper aux hommes (ici aussi, la Femme devient Arbre pour échapper à son bûcheron de mari).
Le plateau (de Silvia Costa) ressemble à des rizières étagées, évoquant la nature et une géographie lointaine. L’espace scénique est cloisonné de murs percés de grandes fenêtres baroquisantes (en grand contraste avec les représentations et thématiques de la nature). Des projections vidéos générées aléatoirement par intelligence artificielle (signées Francesco D’Abbraccio) font dialoguer des images de la nature et de géométrie abstraite : apportant une immersion mais dans une forme de chaos hétérogène et sous de fortes lumières (Andrea Sanson), rendant difficile de relier l’ensemble visuel au thème de cette création.
S'accordant avec l'esprit de la mise en scène, les costumes de Laura Dondoli sont très réalistes mais avec des touches surprenantes (une veste réversible doublée avec de la mousse pour la femme arbre, pour le chœur des costumes satinés noirs avec des patchs symétriques de mousse/lianes malheureusement avalés par les lumières).
La métamorphose la plus puissante se produit à plus grande échelle, par un travail de déconstruction des codes de la création opératique et notamment dans la mise en musique. Maxime Pascal dirige l'Ensemble Le Balcon dans un mélange électro-acoustique avec amplification des artistes. Même avec la technique vocale adéquate, il est complexe de surpasser le dispositif sonore installé jusque parmi le public. Les voix sans ligne mélodique, uniquement en récitatif et arioso ne font plus apprécier leur puissance ou leur agilité technique, mais des couleurs, des substances. Le spectateur est face à un rituel chamanique, dans une forme de transe avec l’alternance de nappes sonores et de sons percussifs. Le paysage sonore passe du grand au petit, du macrocosme terrifiant de la forêt à la vie grouillante d’un monde invisible à l'œil nu.
Forêt vocale
La contralto Helena Rasker qui incarne La Femme puis l’Arbre, met néanmoins à profit son timbre dense pour assumer le rôle d’une sexagénaire aussi désirante que désirée. Gardant ses couleurs et sa clarté mais sans l’ombre de naïveté, son jeu neutre fait donc passer toutes ses émotions par la voix : de la déprime en tant qu'humaine à l’épanouissement en tant qu'arbre, même si elle ne s’exprime alors qu’en syllabes.
Une union intrigante se forme par le mélange entre son caractère et le timbre juvénile de la soprano Juliette Allen en étudiante. Celle-ci, face à la voix enracinée de celle-là, chante davantage telle le bourgeon ou l’oiseau sur la branche avec des pointes de suraigu limpide (composant elle aussi avec une partition qui ne permet pas d’éclats). Le mélange des deux voix a la symbiose des opposés, qui s’attirent comme dans la nature.
Le forestier-mari, campé par le baryton William Dazeley reste dans un entre-deux théâtral et vocal : le doute qui vient assaillir ce bûcher assagi, après que son monde se soit écroulé lorsqu’il se rend compte de la cruauté de son métier et que l’étudiante est intéressée par sa femme (lorsqu’elle est transformée en arbre). La voix délaisse la violence des accents musicaux pour privilégier une voix ronde, presque bourrue mais homogène, juste, continue.
Le chœur est un personnage à part entière, avec son caractère cohérent bien défini : les voix se mettent toutes au service de l'ensemble dans une grande cohésion et une écoute harmonieuse, comme toute la flore fait une forêt. Ce grand équilibre du plateau vocal se déploie aussi entre chœurs et solistes, formant identité et symbiose.
Le public reste visiblement surpris voire un peu confus, même une fois passés la surprise et les sursauts liés à la sonorisation. Les applaudissements sont néanmoins aussi longs qu’est nombreuse l’équipe artistique venant saluer à la fin du spectacle.