Plaintes amoureuses Renaissance par le Sollazzo Ensemble
C’est presque par hasard qu’un historien découvre, lors d’une vente aux enchères, un tout petit recueil de chansons datant du XVe siècle. La curiosité étant rarement un défaut quand il s’agit d’art, la découverte de cet exemplaire unique apporte, avec de précieuses informations complémentaires sur quelques rares autres chansonniers ayant traversé les siècles, la découverte de douze chansons en langue française totalement inédites et de grande qualité. Ce travail musicologique, scientifique et historique (les photographies des pages de ce Chansonnier de Louvain exposées dans le livret de l’enregistrement offrent à elles seules un objet esthétique) trouve un aboutissement avec la recherche concrète de l'interprétation musicale : bien qu’écrit, ce répertoire était surtout chanté. Ce travail d’interprétation et de réappropriation est confié au Sollazzo Ensemble et à sa Directrice artistique, la vièliste Anna Danilevskaia.
Après la première partie (moins introspective) de l’intégrale du chansonnier enregistrée en 2019, et avant le troisième disque qui compilera des chansons d’espoir amoureux, le Sollazzo Ensemble propose ce deuxième recueil dans lequel le point de vue de l’homme paraît central, et intègre l’unique chant religieux en latin du recueil : un Ave Regina de Walter Frye. Porté par les mélodies, parfois langoureuses voire obsessionnelles, l’auditeur suit la poésie de ces textes, entre plainte et ironie amoureuses. Les inédits ne permettent malheureusement pas l’attribution à un compositeur, mais Ou beau chastel bénéficie de toute la douceur interprétative du trio vocal masculin tandis que le réjouissant Par malle bouche porte un grand soin et une attention toute particulière au texte, magnifiant la prosodie par quelques ornements et vocalises purement expressifs et jamais démonstratifs. Certes, le vieux français peut être une difficulté dans la compréhension et pour en apprécier toute la beauté poétique mais la retranscription dans le livret permet d’en saisir le charme (souvent grâce à la traduction en anglais qui permet d’en saisir pleinement le sens). Néanmoins, la musique reste la meilleure traductrice de ces profonds affects. Dans Ou beau chastel toujours, la forme rondeau (couplets-refrain) illustre avec efficience l’image du cœur de l’amant bercé par le souvenir envoûtant de sa belle, la mélodie étant comme prisonnière de ses répétitions presque obsessionnelles. Par malle bouche fait cependant entendre une certaine malice notamment grâce aux commentaires de l’alta capella (sacqueboutes et dulciane) en réponse à la bassa cappella (luths et vièle à archet).
La simplicité et l'authenticité de l'interprétation reflète la finesse du travail, autant dans l'exécution vocale qu'instrumentale, traitées d'ailleurs toutes deux sur un même plan. Les mélodies sont chantées et doublées en symbiose par un instrument, de même que lorsque deux instruments marient leur timbre, telles la vièle à archet et la dulciane. L’acoustique généreuse de l’Église Saint-Augustin d'Anvers est toutefois équilibrée par la prise de son d’Olaf Mielke.
Les ténors Jonatan Alvarado et Lior Leibovici chantent avec la plus grande tendresse les échos langoureux voire gémissants, entrecoupés de passages pianissimo ou de silences. Le premier offre d’ailleurs une interprétation fine et très introspective. La voix caressante et expressive du contre-ténor Andrew Hallock complète le tableau par une plainte accompagnée aux deux vièles.