Début triomphal de Pene Pati avec Lucia di Lammermoor à Naples
La saison 2021/2022 restera indubitablement gravée en lettres d'or dans le palmarès personnel de Pene Pati. La carrière du ténor de Samoa prend un envol considérable depuis la rentrée, avec ses débuts attendus à l'Opéra de Paris et inattendus à l'Opéra Comique (en remplacement), puis à Amsterdam, avant le Staatsoper de Vienne et celui de Berlin, Monte-Carlo, le Théâtre des Champs-Elysées et le Festival d’Aix-en-Provence. À cette liste imposante s'ajoute donc le Teatro San Carlo de Naples, figurant comme un gage de consécration professionnelle du chanteur belcantiste. Et le poids de son entrée sur la scène du temple lyrique napolitain est d'autant plus important qu'il s'agit d'une prise de rôle (d'Edgardo) pour Lucia di Lammermoor de Donizetti, œuvre créée dans ce même théâtre en 1835. Sa collègue dans le rôle-titre, Nadine Sierra (avec laquelle Pene Pati partagea le plateau de Roméo et Juliette à Bordeaux) se voit ce soir remplacée par Jessica Pratt. La nouvelle annoncée au lever du rideau est accompagnée d'une grande réaction d’étonnement, de déception et puis de soulagement du public (en apprenant l’identité de la remplaçante).
Cette production napolitaine est une reprise de la mise en scène inaugurée en 2012 par Gianni Amelio. Son approche est classique, respectueuse du contexte spatio-temporel du livret, reconnaissable dès le début par ses choix explicites de décors et de costumes. La grande salle d'un château médiéval aux murs pierreux dénote l'Écosse du XVIe siècle. La scène subit peu de transformations visuelles au cours du spectacle, figurant ainsi tel un arrière-plan, une toile de fond qui contextualise l’action mais laisse la priorité au chant. Cette mise en scène non invasive et quelque peu austère, minimise les mouvements des acteurs sur le plateau, privilégiant les apports dramatiques provenant du tissu orchestral et des exploits des chanteurs (qui sont pour la plupart et la plupart du temps tournés face au public). Gianni Amelio souligne toutefois la trame tragique du récit Scottien par la froideur de ce cadre décoratif plongé dans l'obscurité.
En l’absence de Nadine Sierra, la direction du San Carlo a donc rapidement retrouvé une remplaçante appropriée pour le rôle-titre. Jessica Pratt (qui incarnait déjà ce personnage lors de la création de cette production en 2012) anticipe ainsi son retour dans la ville parthénopéenne initialement prévu pour le 30 janvier prochain (avec La Somnambule de Bellini en version concertante). La soprano américaine présente une voix douce et hautement souple. Son instrument colorature ne manque pas de couleurs dramatiques, mais la minceur du volume est parfois voilée par la fosse. Le début de sa prestation traduit une nervosité dans l'intonation, vacillante et peinant à redresser la projection sous la menace d’un vibrato trop poussé dans les aigus. Elle gagne en stabilité à mesure que la soirée approche de son terme, surtout pour son finale (la scène de la folie) très agitée physiquement et enjouée vocalement. Les passages rapides et lisses, parcourus sans entraves ni essoufflement, ainsi que les aigus (et suraigus) précis, perçants et convaincants lui valent des ovations dans l'auditoire. Cette performance aurait toutefois pu se terminer par une mésaventure : Jessica Pratt, allongée au mauvais endroit après son long et vertigineux numéro de folie, a heureusement su rouler juste au bon moment pour éviter le grand rideau descendant.
Jumped in as Lucia last night in Naples and just when I thought I had made it to the end with no blunders I realised I had fainted too far downstage and the curtain was about to squash me pic.twitter.com/UyG1SMPlHh
— Jessica Pratt (@Soprano_JPratt) 22 janvier 2022
Pene Pati relève le défi d'un rôle vocalement exigeant et justifie la confiance que l'intendance du théâtre lui accorde. Son ténor velouté semble baigner dans un juste milieu entre la robustesse héroïque et la suavité lyrique. Sa palette expressive est très nuancée, les crescendi sont construits avec beaucoup d'habileté et de finesse. La bonne santé vocale lui permet de tenir jusqu'à la fin avec le même élan, prononçant son chagrin amoureux par un jeu suggestif et d'un italien soigné quoiqu'aux accents anglophones.
La grande voix vigoureuse du baryton Ernesto Petti (Enrico) se démarque par son volume imposant. Son appareil arbore une couleur sombre et étoffée, produisant une sonorité pleine et ronde, à l'articulation belcantiste, abondant dans des ornements malgré une certaine rigidité dans ses vocalises. Il s'engage avec énergie dans le jeu de son personnage orgueilleux et impassible, protecteur des intérêts familiaux.
Dario Russo en Raimondo entame sa prestation avec une prononciation légèrement impropre, mariée à une ligne noircie et tressaillante, qui dessert ses efforts vocaux. Il déploie par la suite son éventail expressif qui s'épanouit dans les fréquences graves et médianes, soutenues par la force de poitrine. L'intonation est solide mais la voix s'avère limitée dans les cimes.
Le ténor Francesco Marsiglia campe un Arturo irradiant, chaleureux et lyrique, un véritable représentant de l'école italienne. La voix est bien appuyée techniquement et se projette loin, le texte étant articulé naturellement et nettement. Le Normanno de Carlo Bosi est un ténor svelte et clair, avec une projection aérée et une étendue limitée. La domestique de Lucia, Alisa est interprétée par Annamaria Napolitano qui manifeste une double face : aigus stables, mais graves rauques et glissants.
L'Orchestre du Théâtre San Carlo est dirigé par Carlo Montanaro avec aisance et maîtrise, même si quelques décalages rythmiques entre le plateau et la fosse se profilent vers la fin du spectacle. L'œuvre étant interprétée dans le lieu de sa création, le chef privilégie un choix historiquement informé et justifié : celui de l'harmonica de verre pour l'accompagnement de la soliste Lucia dans sa scène de folie. Donizetti souhaitait cet instrument à l'origine, avant de le remplacer par la flûte pour des raisons extra-musicales (la légende veut qu'il s'agissait d'une dispute contractuelle avec le joueur d'harmonica). L'assemblage de ces timbres apporte une autre dimension à cette scène, onirique et surnaturelle. D'autant que l'auditoire peut aussi apprécier un soutien élégant et tendre des harpes, ainsi que les coups poignants de cuivres qui peignent ce paysage lugubre où s'égarent les âmes des personnages. Le chœur de la maison (préparé par José Luis Basso) chante avec assurance, mais les choristes étant masqués (protocole sanitaire exige) cela diminue l'étendue de la projection et la netteté du texte.
Le public accueille chaleureusement les artistes par de longs et bruyants applaudissements à l'issue de spectacle, notamment les trois vedettes principales.
Questi sono gli ultimi scatti...ma chissà che non ci siano nuove sorprese! Abbiamo appena ricevuto le foto della #Prima di ieri ... Ricordate che è attiva per voi una promo speciale https://t.co/I1XMK0UR9A#LuciadiLammermoor #insieme2122 #laculturanonsiferma Luciano Romano pic.twitter.com/zqctXUMJQF
— Teatro San Carlo (@teatrosancarlo) 19 janvier 2022