Thaïs resplendit sous la baguette de Michel Plasson à l’Opéra de Tours
En ce week-end de janvier, Jean-Louis Grinda apparaît décidément sur plusieurs fronts opératiques avec, outre cette reprise à Tours de Thaïs, celle de sa fameuse présentation de Carmen au Théâtre du Capitole de Toulouse avec Marie-Nicole Lemieux et Jean-François Borras (notre compte-rendu) et la création sur la scène de l’Opéra de Monte-Carlo d’une nouvelle production du Turc en Italie de Rossini avec Cecilia Bartoli en Fiorilla (compte-rendu à paraître très prochainement). Inaugurée en janvier 2021 Salle Garnier à Monte-Carlo, cette production de Thaïs de forme esthétique et classique semble comme s’être encore affirmée sur la scène tourangelle. Du décor sévère de la Thébaïde qui ouvre l’ouvrage au riche palais alexandrin de Nicias, de la chambre vaporeuse de Thaïs à la scène centrale de l’Oasis, le destin de la superbe courtisane et du cénobite Athanaël se croise et s’entremêle sans se rencontrer réellement. La première parvenue au fait de sa séduction et de sa réputation, s’interroge sur la vacuité de sa vie dissolue et sur l’amour véritable à l’air du Miroir et plus tard, dans son hommage à Eros (l’Amour est une vertu rare au second tableau de l’acte 2). Au terme d’une joute verbale d’une rare violence, elle repousse avec horreur l’idée de se convertir avant de totalement s’abandonner à la rédemption au terme de la fameuse Méditation, page musicale peut-être la plus célèbre de Massenet.
Athanaël, personnage un rien grandiloquent, crucifié entre sa foi ardente et son amour terrestre pour Thaïs basculera pour sa part dans le plus profond désespoir. Jean-Louis Grinda et ses collaborateurs (son fils Gabriel pour la conception vidéo, Laurent Castaingt pour les décors et les lumières, Jorge Jara pour les costumes) déroulent l’action avec acuité et clarté. Le public parvient ainsi sans peine à comprendre le basculement de Thaïs vers la pureté et le mysticisme, ainsi que les douloureuses contradictions permanentes assaillant Athanaël qui suivra de fait le chemin inverse.
Dans le rôle-titre, Chloé Chaume, ravissante, blonde et svelte, déploie un soprano étendu et une quinte aiguë d’une rare facilité qui lui permettent de passer brillamment les épreuves vocales multiples de ce personnage élaboré par Massenet pour l’irrésistible cantatrice Sybil Sanderson. Le timbre de voix pourrait être un peu plus capiteux, onctueux, le bas médium effectivement plus nourri, mais la prestation d’ensemble ravit l'auditoire d'autant que la comédienne apparaît tout aussi convaincue (notamment dès la conversion du personnage). Succédant à Ludovic Tézier présent à Monte-Carlo, André Heyboer fait forte impression en Athanaël. Sans posséder la même densité de timbre que son collègue, il aborde le rôle d’une voix large et assurée, donnant beaucoup de relief à chacune de ses paroles, très investi au plan scénique et musical. L’aigu reste un peu serré toutefois et gagnerait à se libérer un peu plus pour compléter la palette déployée. Kevin Amiel campe un Nicias jeune et léger de sa voix de ténor bien caractéristique aux aigus vaillants et fermes. La basse Philippe Kahn retrouve le rôle un peu ingrat de Palémon, le vieux cénobite un rien sentencieux, déjà incarné avec justesse expressive à Monte-Carlo : le timbre s'affirme à nouveau avec son caractère et placement. Le duo Crobyle/Myrtale fonctionne pleinement : la soprano agile et claire Anaïs Frager et la mezzo-soprano de caractère Valentine Lemercier se complètent au mieux, jusque dans les cascades de vocalises dont Massenet les pare. Jennifer Courcier peine quelque peu dans l’intervention essentiellement à base de vocalises escarpées et suraiguës de la Charmeuse, tandis qu’Hagar Sharvit donne un poids réel au personnage de Sainte Albine. Sa voix franche de mezzo au timbre comme nimbé lui apporte une vraie consistance.
La magie communicative de Michel Plasson, ce grand serviteur de la musique française, s’exerce ici une nouvelle fois dans toute sa plénitude et son charisme. Sa direction musicale à la tête de l’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours et des Chœurs de l’Opéra ravit tous les suffrages. Dès les premières mesures, le charme opère sans alanguissement inutile, sans retour sur le passé. Michel Plasson livre une vision totalement opératique de la musique de Massenet, soutenue à chaque moment, habitée par une connaissance complète du genre, vivante surtout et combative. Même si les pupitres des cordes réclament davantage d'effectif pour cette partition, la fosse déploie son ensemble sonore.
Michel Plasson quoiqu'un peu fatigué à l’issue de la représentation demeure à son pupitre, devant une phalange au complet, pour saluer le public qui l’acclame. La salle réserve une juste et bruyante ovation à l’ensemble des participants et artistes de cette production de Thaïs qui marque l’ouverture de l'année lyrique à l’Opéra de Tours dirigé par Laurent Campellone.