Sages 30 ans des Talens Lyriques au Châtelet
Rameau s’impose pour cet anniversaire, comme un retour aux sources pour l’ensemble de Christophe Rousset nommé d’après le sous-titre des Fêtes d’Hébé justement. Une musique que l’ensemble connaît bien, et son chef plus encore pour l’avoir pratiquée aussi au clavecin et publié une monographie sur le compositeur chez Actes Sud. Opéra-ballet à la musique foisonnante, Les Fêtes d’Hébé auraient pu sonner comme une grande fête, pourtant la première partie de la soirée est un peu timide, avant que Dardanus ne soit porté par l’émotion attendue.
La disposition du plateau, sans doute liée aux contraintes de l’enregistrement vidéo, n’est pas particulièrement propice à une atmosphère de fête : les chanteurs, habillés en noirs, sont retranchés dans l’obscurité d’un coin de scène quand ils ne chantent pas, vont et viennent entre leurs interventions, laissant parfois un silence un peu lourd lors de leurs déplacements. Le choix d’extraits a pour conséquences que les airs sont parfois si courts, sans lien narratif entre eux, qu’il est délicat d’instaurer un climat dans ces conditions (d’autant que la salle est loin d’être remplie ce soir).
Pourtant, les trois chanteurs du soir se lancent généreusement dans cette musique. C’est Ambroisine Bré qui ouvre le bal avec son air “Bois chéri des amours”. La voix est voluptueuse, l’instrument est large, alternant des sons plats puis vibrés, le timbre brille à certains endroits, lumineux, et à d’autres devient un peu nasal. Cette belle pâte généreuse et sombre flatte agréablement l’oreille mais est un peu statique, ce qui gène la prononciation et la projection dans le bas medium. Pourtant l’interprète est soucieuse des mots, osant par moments de belles nuances pour servir la musique, avec une présence très digne sur scène. Elle trouve ainsi des accents touchants dans la seconde partie consacrée à Dardanus, notamment dans “Cesse, cruel Amour”, véritablement habité.
Florian Sempey est un peu en retrait ce soir. Si les qualités vocales du baryton sont bien là (beauté d’un timbre sombre qui ronronne, engagement du comédien et implication à dire le texte), la voix est un peu sourde ce soir, particulièrement dans le medium, et le son ne semble sortir qu’au prix d’un effort physique un peu brutal qui finit par hacher la ligne. De même, dans les trios de ce soir, comme “Suivez les lois”, la voix est un peu éteinte. L’air d’Anténor dans Dardanus le trouve plus à l’aise, le récit témoignant d’une science du théâtre et la voix retrouvant du legato dans les longues phrases de “Monstre Affreux”.
Cyrille Dubois, de son côté, s’anime et s’agite, danse, se débat avec son porte-partition, pourtant la voix claire et lumineuse voyage librement dans la salle du Châtelet, se déployant au fur et à mesure de la soirée. Le ténor affronte crânement dès son premier air “Fuis, porte ailleurs tes fureurs” des vocalises redoutables, il anime ensuite d’un phrasé expressif le périlleux “L’objet qui règne dans mon âme” et trouve dans “Lieux funestes” une véritable émotion, avec un grand soin du texte, sobre, si ce n’est quelques respirations bruyantes. L’un des moments forts de cette soirée.
La joie attendue est finalement apportée par l’orchestre et la danse instrumentale : les forces des Talens Lyriques se montrent virtuoses dans les larges extraits de ballets. La direction de Christophe Rousset est sans doute plus élégante qu’endiablée, mais elle rend pleinement justice à l’art de Rameau par sa précision et la variété des atmosphères, créant un vrai fil conducteur tout au long du spectacle. De quoi faire se lever le public qui applaudit chaleureusement ce 30e anniversaire.