Tous en chœur avec Carmen Reine du Cirque à l’Opéra Grand Avignon
Cette Carmen s’inscrit dans la tradition de l’opéra participatif en coproduction avec le Teatro Sociale à Côme-AsLiCo, le Festival de Brégence, le Théâtre des Champs-Élysées, et l’Opéra de Rouen Normandie où nous l'avions couverte et d’où elle est venue avec son Directeur d’alors désormais à la tête de l’Opéra Grand Avignon : Frédéric Roels. Cette version de Carmen adaptée au jeune public et réduite pour l’occasion continue donc de prendre les routes, tel le cirque itinérant dans lequel l’histoire est ici située. Carmen et les autres personnages forment en effet une troupe de Cirque : de quoi attirer et charmer le public (et faire du drame un spectacle dans le spectacle, doublement pour de faux). D’autant que cette version beaucoup moins dramatique, fascine le jeune et moins jeune public suivant l’ascension de la Star du Cirque Siviglia (Carmen), à travers des tableaux énergiques. Les scènes sont ponctuées par de nombreux numéros d’acrobatie et de jonglage brillamment exécutés par Belen Celedon Moraga, Luigi De Maglie, Clément Gambarelli et Ambre Ros ainsi que de piquantes chorégraphies (réalisées par Daniele Caruso) dansées par l’ensemble de la compagnie. Les chatoyants et élégants costumes d’Elena Beccaro s’adaptent à chaque personnage et se fondent harmonieusement avec le plateau, conçu par Andrea Bernard et Alberto Beltrame, présentant l’intérieur d’un authentique chapiteau attrayant.
Côté musique, l’œuvre est participative et interactive : les artistes convient le public à chanter des moments marquants de l’œuvre. Entrainés par les membres de la Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon, éparpillés parmi le public, l’enjouée Garde Montante, la célèbre Habanera de Carmen, le triomphant air d’Escamillo "Votre toast, je peux vous le rendre" et d’autres moments permettent au public de s’initier au chant choral. Ce public participe ainsi joyeusement à chacune des interventions, élevant leurs voix, bien encadrées par celles de la Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon.
Le chef Léo Warynski fait sonner l’Orchestre National Avignon-Provence avec brio, par des phrases élancées et riches en harmonies (malgré les nombreuses coupures de la partition).
Tête d’affiche, la mezzo-soprano Éléonore Gagey incarne Carmen avec d’évidentes intentions mais son jeu demeure peu engagé, manquant d’acidité et de pétillance (traits de caractère incontournables chez Carmen). L’étendue vocale est contrôlée par un travail de nuances aiguisées, mais le phrasé se montre très linéaire, d’autant que la matière manque d’épaisseur et de couleurs.
À ses pieds, le Don José (gardien du cirque) interprété par le ténor Carlos Natale exclame son texte avec une sensibilité volontaire. Se montrant pourtant un peu en retrait au début de l’œuvre, le chanteur gagne en assurance jusqu’au finale où les émotions se déploient. Sa voix perçante dans les aigus est généreuse dans le reste de sa tessiture. Son timbre pur est contrôlé malgré une agilité vocale encore frêle.
La fraîcheur vocale du baryton Alexander York, incarnant le fier Escamillo (transformé pour l’occasion en “homme le plus fort du monde”) déploie le potentiel scénique de son jeu malicieux et amusant. La texture ronde, puissante et sonore de son chant déploie aisément son accroche.
La Micaëla de la soprano Hélène Carpentier (déjà présente dans la production au Théâtre des Champs-Élysées) propose un jeu assuré mais aussi volontairement sensible, avec un discours vocal poignant et sincère. Sa voix fine et langoureuse, dans les doux moments comme le duo avec Don José, sait aussi se montrer autoritaire. Incarnant également Frasquita, elle joue avec vivacité aux côtés de Mercédès (la trapéziste). Celle-ci est chantée par la mezzo-soprano Aurore Ugolin d’un timbre ancré, abondant avec un vibrato brillant et bien projeté, agréablement exploité par son jeu scénique naturel et fluide.
Le duo réunissant le baryton Samuel Namotte (Le Dancaïre lanceur de couteaux) et le ténor Charlie Guillemin (Remendado le fakir) se démarque par un jeu théâtral et efficace. Le premier fait entendre une voix légère et polie tandis que le second a une voix élégante et adroite.
Enfin, dans l’audacieux rôle de Zuniga, le comédien Paul Camus imprègne pleinement le public de son jeu convaincant, comme de son élocution claire et franche, faisant de lui un directeur de cirque à la fois ferme et touchant.
Les artistes sont chaleureusement remerciés par des applaudissements enthousiastes ainsi que plusieurs rappels aux saluts. Ce Cirque Siviglia et sa Carmen Reine du Cirque peuvent ainsi reprendre les routes pour de nouvelles aventures.