Tchaïkovsky & Co par la Promotion Tchaïkovsky de l'Académie Jaroussky
L'Académie Jaroussky à La Seine Musicale fête sa 5ème saison d'exercice. Chaque année, les "Jeunes Talents" formés rejoignent une promotion baptisée du nom d'un compositeur. Après les promotions Mozart, Vivaldi, Ravel et Beethoven, la cohorte 2021/2022 forme la promotion Tchaïkovski. Son concert de début d'année 2022 à l'issue d'une semaine de master-classes publiques rend hommage à ce compositeur et à ses compatriotes dans le cadre d'un programme post-romantique russe, avec également deux compositrices du XXe siècle (la polonaise Grażyna Bacewicz et la lettone Lucija Garuta).
Les quatre disciplines de l'académie (violon, violoncelle, piano et voix) sont réunies pour des morceaux chambristes, dans différentes configurations, en solistes ou en ensembles, réunissant parfois élève et professeur.
Philippe Jaroussky en personne vient en prélude du concert souhaiter une bonne année aux spectateurs et les remercier d'être venus soutenir les musiciens et la culture. Il annonce également et malheureusement que deux solistes lyriques ont dû se retirer du programme pour raisons de santé (le baryton Sergio Villegas Galvain qui aurait dû chanter Réconciliation de Tchaïkovski et la soprano Adèle Lorenzi-Favart qui avait préparé des Romances sur des poèmes de Blok composées par Chostakovitch). C'est fort dommage, mais l'Académie leur offrira bien d'autres occasions de concerts (et elle continue de mener ses musiciens vers les scènes professionnelles après leur sortie). L'occasion est également donnée dès ce soir d'apprécier trois voix et bien des instruments.
Le ténor Bastien Rimondi accompagné par l'imperturbable et impeccable délicatesse de Gaspard Thomas au piano, chante "Ne chantez plus pour moi" de Rachmaninov. La voix pincée est riche en souffle, déployant l'intensité d'une projection très expressive en fins de phrases (ou de certains mots). La couleur russe de sa prononciation l'appelle indéniablement à prendre des rôles d'opéra dans ce répertoire (notamment Lenski d'Eugène Onéguine) dès que l'aigu plafonnera moins. Gaspard Thomas revient ensuite jouer seul la Valse de Scriabine avec la délicatesse d'une berceuse impressionniste.
La mezzo-soprano Maya Amir (accompagnée par Hyunji Kim) commence la Romance "N'étais-je pas un brin d'herbe dans le pré ?" de Tchaïkovski d'une voix timide, mais le caractère tremblant se déploie avec la mélodie, aussi bien vers l'aigu que le grave. L'ambitus se déploie ainsi avec une grandeur homogène, mais l'interprétation reste mesurée (dans tous les sens du terme, y compris en mesure rythmique et sur le phrasé, qui peut avoir tendance à s'effacer). Hyunji Kim revient balayer et marteler le piano avec la maîtrise des crescendo/decrescendo dans le Prélude n°2 de Rachmaninov.
"Le cortège aérien des nuages" de Rimski-Korsakov et les "Eaux printanières" de Rachmaninov sont chantées par Chloé Jacob (accompagnée par Nour Ayadi dont le piano dévore les notes avec panache). La soprano déploie d'emblée un phrasé montant vers un aigu marqué, au métal étincelant (mais plafonnant lorsqu'elle s'élève encore). L'intensité du médium serre un peu mais l'énergie du médium-aigu s'affirme comme le socle de sa voix.
Le 1er Trio Élégiaque de Rachmaninov ouvre ce concert comme l'indique son nom, avec une grande élégance de jeu et un investissement qui marqueront toute la soirée. Élise Bertrand (avec son archet long et fin au violon), Frauke Suys (violoncelle vibrant de longs sanglots) et Nour Ayadi (agile et claire au piano) donnent le la de ce Gala et des fruits de leur formation.
Très en place, Arthur Decaris au violon et Wenjia Guo au piano assument la cavalcade obstinée de la Sonate n°2 de Prokofiev. Alberic Boullenois propose un jeu corsé au violoncelle avec Gautier Michel tout aussi investi et dynamique au piano pour la Sonate de Chostakovitch. Gautier Michel qui accompagne également la Vocalise de Rachmaninov très claire et déliée, tendrement touchante avec le violoncelliste Lucas Henry. Elie Hackel et Victor Andrey jouent la Sonate pour deux violons de Prokofiev avec un lyrisme slave bondissant (dont seule la fin est un peu brouillonne).
Leurs professeurs donnent également de leur personnalité artistique, à commencer par Philippe Jaroussky, qui chante des French songs de Tchaïkovski accompagné par Wenjia Guo au piano. Le contre-ténor illustre par sa voix les paroles qu'il chante (donnant de fait un bel exemple pédagogique aux élèves) : le souffle d'aurore de la feuille palpitante inspirant notamment la tendresse de ses doux accents. La projection est parfois entrecoupée, mais au service du rythme cyclique et le phrasé sait s'allonger pour plonger dans les graves afin de rejaillir en aigus aiguisés.
La professeure de violon Geneviève Laurenceau démontre sa virtuosité enlevée avec le Caprice polonais de Grażyna Bacewicz, aux couleurs étonnamment orthodoxes et irlandaises puis tziganes. Le pianiste David Kadouch fait lui aussi une démonstration de concertiste avec richesse et variété des sentiments dans le Prélude n°2 de Lucija Garuta. Christian-Pierre La Marca (professeur de violoncelle) et Nour AYADI (piano) offrent une démonstration de ce qu'est une Valse sentimentale et slave (celle composée par Tchaïkovski) avant d'enthousiasmer le public par la fameuse virtuosité du Vol du bourdon de Rimski-Korsakov.
Ce programme se conclut par le slavissime finale du Trio n°2 de Chostakovitch avec Maxime Morise (violon), Bertille Arrué (violoncelle) et Wenjia Guo (piano).
La soirée offre ainsi un parcours illustré à travers la richesse du répertoire russe, des talents confirmés et de demain. Ce tableau est rehaussé comme dans une galerie de peinture moderne par cet Auditorium plongé dans le noir, d'où rayonnent seulement les artistes dans un rond de lumière. L'ambiance plonge ainsi le public dans une écoute très attentive, éclatant d'autant mieux en applaudissements à la fin des morceaux et de ce concert.