Chorus Line n°6 : Radio France chante la petite sirène
Le programme imprimé de ce concert cite plusieurs exemples de compositions musicales faisant chanter des sirènes ou évoquant ces figures mythiques, mais élargit aussi le propos à d'autres compositions inspirées par les contes d'Hans Christian Andersen (jusqu'à la récente création lyrique La Reine des neiges composée par Hans Abrahamsen, venue de Copenhague en 2019 à Strasbourg en septembre dernier).
Le programme chanté, romantique et moderne, s'éloigne encore un peu plus du thème, contenant quelques sirènes (les Chants d'Ariel de Frank Martin et une mélodie de Lili Boulanger). L'essentiel des morceaux choraux choisis chantent plutôt la mer, et certains n'ont qu'un lien très indirect avec l'univers marin (soit le poète mis en musique, soit le compositeur choisi s'en inspirent ailleurs : Rimbaud, Schumann, Brahms, Hersant). Certains compositeurs sont au programme pour leur proximité géographique avec le Danois Hans Christian Andersen (le Finlandais Sibelius, le Hollandais Henk Badings) même s'ils font chanter la terre ferme tout comme le chœur choisi dans le catalogue de Benjamin Britten qui est pourtant infiniment maritime.
Le Chœur de Radio France traduit avec justesse et implication, individuellement et collectivement ce riche océan sonore, des chants de marins et même de faune marine, de la précision dans l'écume des timbres jusqu'aux courants traversant les pupitres avec des effets de spatialisation, de l'harmonie d'une mer d'huile aux tempêtes et cyclones, des sombres flottes à la tempête (la lumière bleue du Studio 104 devient alors orange), du murmure aux éclats. Les clapotis et roulis rythmiques, s'élancent en embardées dans l'aigu et le forte. Ces élans viennent toutefois fatiguer les voix au fil de la soirée et la diversité des caractères diminue d'autant l'intelligibilité du texte (même en français).
Le Chœur est accompagné et dirigé par un oxymore d'une même richesse : celui formé entre la direction millimétrée du cartographe timonier Mathieu Romano et le piano noyé de pédale de Yoan Héreau (aussi investi que dans ses morceaux solistes).
Claudine Margely reste dans le rang (dans son pupitre de chanteuses et derrière son pupitre portant sa partition) pour offrir un solo avec son timbre amplement velouté. Le vibrato rapide s'affirme en montant vers l'aigu mais la chanteuse quitte bien vite sa ligne d'eau pour replonger dans le bassin sonore avec ses collègues.
Entre les morceaux musicaux, Céline Milliat-Baumgartner lit un texte d'Agnès Desarthe, à la manière d'une Vie de Sirène mode d'emploi, évoquant cette figure depuis Homère jusqu'aux contes qui seront encore lus aux enfants pour s'endormir durant des siècles. Cette figure permet de plonger dans l'âme humaine et de la mythologie, avec ses merveilles mais aussi les horreurs de cette histoire (la petite sirène dans la version de Hans Christian Andersen a la langue coupée, elle a la sensation de marcher sur des couteaux à chaque pas et ses sœurs l'incitent à poignarder le prince en plein cœur).
Céline Milliat-Baumgartner conserve constamment le caractère et la tonalité d'une voix d'enfant ingénue (alors qu'elle raconte l'histoire comme à une enfant), pincée et très près du micro. La voix cantonnée aux aigus toujours souriants limite énormément sa palette de caractères et elle semble parfois découvrir son texte, très articulé mais butant même à plusieurs reprises sur le nom Hans Christian Andersen.
Le public ravi de ce conte de fées musical applaudit longtemps et chaleureusement tous les artistes.