Gershwin et Bernstein, deux Américains à Paris
La juxtaposition d'œuvres de Gershwin et de Bernstein révèle les liens étroits existant entre ces deux personnalités musicales. Tous deux opèrent une synthèse stylistique mêlant jazz, musique populaire et musique savante, s’inscrivant dans une musique authentiquement américaine.
Le concert débute « en fanfare » avec la suite jubilatoire et entraînante des Three Dance Episodes, extrait de la comédie musicale de Bernstein, On the Town, aux accents jazzy. Suit la célèbre Rhapsody in Blue de Gershwin qui allie l’esthétique jazz à la forme d’un concerto classique, Jelly Roll Morton côtoyant Liszt et Rachmaninov.
Pour la Symphonie n°1, le chef d’orchestre Alexandre Bloch explique que Bernstein puise dans son héritage musical et religieux. Le sous-titre « Jeremiah » fait référence aux lamentations de Jérémie dans l’Ancien Testament et à l’intention du compositeur, imprégné depuis l’enfance de la tradition juive faisant « ressentir l’intensité des supplications du prophète envers son peuple ». Lenny (surnom de Leonard né Louis Bernstein) s’inspire également de musiques qu’il a étudiées et dirigées (Mahler, Stravinsky, Chostakovitch, Copland…), en y joignant des couleurs des musiques de Broadway aux rythmes syncopés qui annoncent sa fameuse comédie musicale West Side Story.
Au moment où Alexandre Bloch évoque la quête de foi de Bernstein, un événement surprenant intervient : une violoniste tombe de sa chaise, évanouie. Les secours ne tardent pas et le concert peut se poursuivre après l’évacuation de la musicienne, le retour en salle très applaudi des trois spectateurs ayant bondi sur scène à son secours et des paroles rassurantes du chef quant à l’état de la violoniste.
Les soucis de santé marquent décidément cette soirée et Michelle DeYoung, annoncée souffrante, est remplacée par la mezzo-soprano israélienne Rinat Shaham. Cette dernière n’en est pas à sa première symphonie Jeremiah l’ayant interprétée avec le NDR Symphony Hamburg en 2019. Elle intervient dans le troisième mouvement titré Lamentation et clame la douleur de Jérémie pleurant sa Jérusalem en ruine dans une forte intensité dramatique. Elle exprime le tragique des paroles de Jérémie de sa voix puissante au vibrato enveloppant (elle passe des nuits à pleurer), atteignant un paroxysme d’intensité tel un cri de souffrance (Éloignez-vous, impurs !). Sa voix se fait aussi angélique, claire et sans vibrato, lorsque la douleur se transforme en tristesse contenue (Elle est assise solitaire… une veuve) et se teinte de douceur dans l’imploration ultime (Fais-nous revenir à toi, ô Éternel !). La chanteuse vit intensément le texte, vocalement et physiquement, habitant la musique dans les intermèdes orchestraux, son émotion est palpable jusque dans les saluts.
Alexandre Bloch mène l'Orchestre national de Lille avec fougue. Il communique son enthousiasme à la fois aux instrumentistes qui semblent s’amuser en exécutant les Three Dance Episodes, et au public qui contient difficilement son envie de bouger. Le chef semble lui aussi danser lorsqu’il indique un tempo rapide de ses bras tenus très haut. Tous les pupitres ont leur moment de gloire et révèlent des instrumentistes hors pair. Les tutti sont éclatants dans la Rhapsody in Blue, offrant un contraste avec le jeu perlé du pianiste Wilhem Latchoumia qui exécute magistralement la partie soliste de ce « jazz-concerto ». Le piano se colore subtilement et sa délicatesse de toucher alterne avec un jeu plus rythmique et martelé, franchissant cependant difficilement le son rutilant des tutti de l’orchestre. Son jeu cristallin est mis en valeur dans le bis, « Où l’on entend une boite à musique » du compositeur français Déodat de Séverac, grandement apprécié du public, comme tout ce concert.
Merci à la @philharmonie de #Paris davoir accueilli l#Orchestre et son directeur musical @Alexandre_Bloch pour ce week-end #Bernstein ! Fin de série de nouvelle année 2022 avec le pianiste @WLatchoumia & la mezzo @Rinatshaham : un public parisien au rendez-vous et chaleureux ! pic.twitter.com/uCjJqpfUWj
— Orchestre national de Lille (@onlille) 8 janvier 2022