Hannigan & friends & animals à Radio France
Le concert est dans le format "and friends" qui est aussi populaire dans le monde du divertissement : une vedette (ici Barbara Hannigan) invite des amis artistes pour différentes collaborations au fil d'une soirée avant de les réunir en tutti. Hannigan a, fort heureusement, beaucoup d'amis talentueux et elle a ainsi pu inviter Bertrand Chamayou et Alphonse Cemin pour remplacer Katia et Marielle Labèque souffrantes.
La tête d'affiche ne chante pas ce soir, à l'exception des "miaous" avec Degout dans le Duo des chats de Rossini, faisant d'autant plus regretter qu'elle n'ait pas associé avant la voix au geste. Toutefois, la direction d'Hannigan puise dans son énergie et sa gestuelle de chanteuse : toujours aussi investie, sur une pointe de pied ou de talon, elle inspire aux musiciens une légèreté et un élan tout en semblant prête à s'avancer soudainement pour les rejoindre ou à faire volte-face pour chanter devant le soutien orchestral comme elle l'a souvent fait. Elle incarne ainsi à elle seule le "ballet-pantomime" qu'est la première œuvre au programme, ici en fragments symphoniques : Le Festin de l'araignée d'Albert Roussel. C'est donc surtout le thème animalier qui sert de fil rouge à la soirée, avec (en extraits également) Histoires naturelles de Ravel, Le Carnaval des animaux de Saint-Saëns, Le Bestiaire de Poulenc, La Pieuvre et les Préludes flasques (Pour un chien) de Satie, et même le thème du Requin du film Les Dents de la mer, Walking the Dog de Gershwin et Le Duo des chats de Rossini (finissant ainsi entre chiens et chats, tous les invités aboyant contre l'orchestre feulant et crachant).
La direction d'Hannigan semble ainsi emprunter autant d'attitudes et de postures animales pour diriger, depuis l'araignée jusqu'au chat surtout, qu'elle imite en mouvements félins jusqu'à lever la jambe par-dessus le garde-corps de son podium. La direction (même quand elle est bien en-deçà de ces moments amusants) est tellement expressive qu'elle peine toutefois à diversifier le résultat produit. Sa conduite étant toujours intense et dansante, les passages ternaires ne peuvent pas valser davantage, et elle vit tellement la direction de la ligne mélodique, qu'elle en délaisse les contre-chants (souvent un peu décalés ou ténus). Son énergie nourrit néanmoins la musique et ses invités d'un souffle inspirant, qui réjouit sans réserve le public.
Stéphane Degout, grand habitué de la mélodie et de l'opéra, peut déployer en un tel lieu et avec orchestre l'intensité de son lyrisme, toujours au service de la prosodie. Il récite les textes en les chantant, aussi clairement que s'il les parlait, davantage même sans doute. Même dans les éclats du "Glorieux" paon et de "son cri diabolique : Léon !". Comme il conserve la clarté dans l'intensité, il conserve l'intensité dans la délicatesse du decrescendo et du piano, admirant avec délices Le Martin-pêcheur qui se pose sur sa "perche de ligne tendue", dans une grande émotion qu'il accompagne du regard (comme chaque vers).
Dans la dernière partie du programme, Mathieu Amalric récite entre les morceaux musicaux, des textes animaliers très divers et cocasses : les notations de Satie sur ses partitions, les échanges sur un forum internet aquariophile des Côtes d'Armor (échange ayant vraiment eu lieu et encore archivé, entre les utilisateurs Rascarcapak et cab65 le 27 janvier 2012), une étude scientifique de 2016 démontrant que la mauvaise réputation des requins est renforcée par la musique inquiétante qui accompagne ses apparitions audio-visuelles, une lettre de Glenn Gould à son chien, l'Abécédaire de Deleuze (à la lettre A comme Animal). Ces lectures résonnent avec les musiques interprétées mais aussi avec d'autres événements récemment ou prochainement portés par ces interprètes : Stéphane Degout écoute d'un œil gourmand la recette du Grand Dictionnaire de cuisine d'Alexandre Dumas comme en octobre dernier à Lyon où Falstaff suivait des recettes du fameux Guide culinaire d'Auguste Escoffier, tandis que nous rappelions le mois dernier combien le thème des Dents de la Mer s'inspire de la Symphonie n° 9 du Nouveau Monde de Dvořák, alors interprétée à la Philharmonie de Paris où reviendra Bertrand Chamayou les 12 et 13 janvier prochains. La maladresse du récitant confinant à une gêne pudique sert parfois l'effet comique, mais semble être un mélange d'émotion et de volonté de bien faire parmi tous ces amis et ce public (à moins que les nombreux changements du programme aient également perturbé sa préparation et ses choix).
À l'inverse, malgré leur statut de remplaçants (prestigieux) et surtout d'amis dévoués, Bertrand Chamayou et Alphonse Cemin s'épanouissent d'emblée et pleinement dans les différents morceaux convoquant un piano seul ou bien les deux, avec ou sans orchestre. La répartition a bien tenu compte des qualités de ces instrumentistes, confiant les parties fougueuses au premier, les plus précises au second.
Le public emplissant entièrement l'Auditorium à 360° dans cette salle "en vignoble" est visiblement composé de nombreux auditeurs peu habitués aux concerts, et tant mieux ! Les têtes se penchent pour mieux regarder un pupitre faisant un solo (notamment lorsque le percussionniste sort des instruments plus rares). Les applaudissements spontanés entre les mouvements d'une même œuvre traduisent également l'enthousiasme, allant de pair avec un silence attentif pendant la musique. Aussi attentif et silencieux qu'est tonitruante l'acclamation finale.
Ce concert sera diffusé le 24 février sur cette page via France Musique