Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, nommée aux Victoires de la Musique Classique : "donner envie d'opéra"
Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, vous êtes nommée dans la catégorie Révélation lyrique aux Victoires de la Musique Classique 2022. Comment avez-vous appris la nouvelle ?
J'étais dans les escalators à Montparnasse, je sortais d'une audition à Paris et je rentrais à Toulouse pour les répétitions de La Flûte enchantée. Mon agent m'appelle en me disant que l'équipe des Victoires voulait s'assurer que j'étais bien disponible pour le concert. Notre discussion continue sur d'autres sujets, et puis soudain je réalise et je reviens au sujet en lui disant que s'ils veulent la confirmation que je suis disponible, c'est que je fais partie des révélations ! Il me l'a confirmé, pensant que j’étais déjà au courant et j'ai hurlé dans la gare Montparnasse.
C'est une grande surprise, un immense honneur. C'est très gratifiant et c'est une sorte de rêve car voilà des années que je regarde les Victoires de la Musique. C'est aussi un bon signe, prometteur pour l'avenir, et peut-être de nouvelles portes qui vont s'ouvrir.
Que voulez-vous montrer au public à l'occasion de ces Victoires ?
donner envie d'opéra aux gens
Pour cet événement, je veux montrer qui je suis, en étant rassurée avec du répertoire qui me plait, qui me tient à cœur et dans l'éclectisme, tout en touchant un maximum de personnes. Montrer ce que j'aime, ce que je suis capable de faire, non pas dans une démonstration de talent mais pour faire aimer ce que je fais et la musique avec cette occasion de chanter pour tous les spectateurs qui ne vont pas forcément à l'Opéra. L'enjeu est d'être abordable et de sortir des sentiers battus. Il faut se sentir bien et alors le public le voit et l'entend. Mon but n'est pas de gagner ou de me faire connaitre mais de donner envie d'opéra aux gens. Je viens d'un monde où beaucoup de personnes que je côtoie pensaient que l'opéra n'était pas pour eux, et qui, n'ayant jamais entendu un concert classique de leur vie, disaient que cet art est réservé à une élite parisienne. J'ai chanté pour eux et depuis ils s'intéressent à l'opéra, ils y vont ou à l'opéra au cinéma ou en streaming. Voilà ce qui me plait : agir et montrer que l'opéra est pour tout le monde. Que cet art unissant théâtre et musique peut plaire à tout le monde, et faire en sorte que la magie prenne.
Les maisons d'opéra font beaucoup d'efforts sur les prix. Oui, il y a des places chères mais il y a des places accessibles, et, pour les jeunes, des places moins chères qu'un ticket de cinéma ou un menu dans un fast-food. Il y a un public jeune ! Les places pour les avant-premières jeunes à l'Opéra de Paris sont prises d'assaut, il faut avoir mis une alarme et cliquer frénétiquement à la seconde de mise en ligne pour les avoir. Le public jeune est là. L'autre jour, je faisais du shopping dans une grande enseigne de vêtements ici à Toulouse, je discute avec une jeune vendeuse, elle me demande ce que je fais dans la vie, je lui dis que je suis chanteuse d'opéra, elle me dit 'Ah dans La Flûte enchantée ? Mais j'ai pris mes places !'
Il y a un public, un avenir, il ne faut pas être défaitiste.
Connaissez-vous les deux autres chanteuses nommées avec vous ?
Je ne connaissais pas Sarah Aristidou, mais nous nous sommes croisées plusieurs fois en concours avec Eugénie Joneau. Je l'apprécie beaucoup, j'étais contente d'être nommée avec elle.
Cette année encore, trois femmes sont nommées dans la catégorie Révélation, y voyez-vous un signe ?
C'est souvent désormais. La diversité est une belle chose, mais ce qui compte c'est que les gens soient là pour leur talent et leur mérite, quels que soient leurs genres, leurs origines... si nous sommes là, c’est pour nos qualités artistiques, je l’espère en tout cas, et si cela avait été trois hommes, cela aurait été la même chose.
Quelle a été votre première expérience à l'Opéra ?
Mon premier opéra en vrai était un cadeau de Noël, littéralement : il y a au moins 12 ans, c'était Cosi à Garnier. J'ai grandi en Normandie, j’ai été émerveillée par l’Opéra Garnier évidemment. Je trouvais le métier de chanteur génial, cet univers fabuleux mais je n'envisageais pas de carrière lyrique : je n'étais ni instrumentiste ni chanteuse, je visais une Prépa lettres que j'ai faite, puis j'ai intégré Sciences Po à Bordeaux.
J'ai toujours aimé chanter mais je n'ai jamais pris de cours car il n'y avait pas de conservatoire accessible près de chez moi. J'ai rejoint Bordeaux pour Sciences Po, mais j'ai fait mon Erasmus à Salzbourg pour être proche de l'opéra.
Nous vous retrouverons peut-être un jour à la direction d'un opéra ?
Qui sait ! À Sciences Po, je visais d'abord l'école de la magistrature, mais j'ai ensuite envisagé de poursuivre avec un Master dans le champ de la culture pour concilier les études de chant et celles de sciences politiques, et pourquoi pas diriger une institution culturelle. Toutefois, j'ai dû me consacrer entièrement au chant car je ne pensais plus qu'à cela, je ne vivais que pour cela.
J'ai rencontré ma professeure de chant Maryse Castets au conservatoire à 21 ans, j'ai compris très rapidement que c'était ma vocation alors j'ai plaqué ma troisième année de Sciences Po. J'avais toqué un peu au hasard au conservatoire en rentrant à Bordeaux, j'ai donc commencé le chant il y a seulement 7 ans : j'ai fait mon cursus de chant de 5 ans au conservatoire, et deux années à l'Académie de l'Opéra de Paris. Ce n'est que ma huitième année de chant, tout est allé très vite.
Comment vous êtes-vous entourée pour prendre cette décision et vous a-t-on mise en garde sur certains points ?
J'ai demandé conseils à ma professeure pour cette décision et elle a misé sur mes qualités de timbre notamment (et je suis mezzo-soprano, tessiture qui a moins la pression de l'âge et de la jeunesse qu'une soprano légère).
J'avais 21 ans, c'était maintenant ou jamais (il y a beaucoup de limites d'âge pour les concours et les studios). Je suis allée vite car j'ai voulu aller vite, et heureusement ma voix a suivi, mon corps a compris, j'ai pu m'appuyer sur mon plaisir et mon aisance avec la scène.
On m'a recommandé de la prudence surtout pour le répertoire. C'est le plus important : chanter des rôles faits pour soi, avec une technique saine.
Il faut ensuite suivre au niveau des nerfs, de l'endurance. Pour cela, ma formation à l'Académie de l'Opéra de Paris a été très précieuse, pour m'habituer à ce rythme avec deux ou trois heures de coaching par jour, l'entraînement, les concerts, auditions...
Quelle a été votre première fois comme chanteuse à l'opéra ?
Mon premier rôle sur une scène d'opéra a été, d'une manière incroyable, dans La Walkyrie (en Grimgerde) ! Le premier mot que j'ai chanté à l'Opéra était donc Hojotoho ! J'étais encore étudiante au conservatoire, je n'en menais pas large. C'était le saut dans le grand bain, avec un tout : La Walkyrie, Wagner, l'Opéra, un casting incroyable, l'orchestre...
C'est grâce à la rencontre avec Marc Minkowski, alors Directeur de l'Opéra de Bordeaux qui menait un partenariat avec le conservatoire pour travailler une œuvre et en l'occurrence monter Le Messie. Il m'a auditionnée et beaucoup soutenue. J'ai donc également chanté Le Messie, la Messe solennelle, puis via Marc, Les Musiciens du Louvre m'ont proposé de chanter et enregistrer la Messe en Ut à la Philharmonie, juste avant que je passe les auditions à l'Académie de l'Opéra de Paris. J'ai un très bon contact avec Marc Minkowski. Il est très créatif et spontané, ce qui me plaît beaucoup : il a une énergie qui rend chaque concert très différent, on peut même changer des choses au dernier moment. Cette prise de risques me plaît car elle enrichit une œuvre et l'investissement de son interprétation. Et je lui dois beaucoup car en plus de servir à ma formation, tous ces projets qu'il m'a proposés m'ont permis de commencer mon chemin dans le métier, d'apprivoiser la scène : et à domicile, dans la ville où j'étais, grâce à son attention aux musiciens locaux.
Tout s'est en fait enchaîné car entre La Walkyrie à Bordeaux et la rentrée à l'Académie de Paris, j'ai fait l'Académie d'été du Festival de Salzbourg (le Young Singers Project). Je chantais dans Médée de Cherubini dirigée par Thomas Hengelbrock avec le Wiener Philharmoniker. Je me retrouvais sur la grande scène de Salzbourg pour le deuxième rôle de ma vie (c'était donc aussi un retour à Salzbourg où j'étais allée en Erasmus). Ça m'a bien mise dans le bain. J'y étais jusqu'au 31 août (2019), et le 1er septembre je rejoignais l'Académie de l'Opéra de Paris.
Comment aviez-vous entendu parler de cette Académie et eu envie de la rejoindre ?
Par des collègues du conservatoire qui l'avaient tentée. C'est le principal Opéra Studio de France, que tout le monde vise. Nous sommes énormément à frapper à la porte (je crois qu'ils sont 400 cette année). Comme je ne chantais que depuis 5 ans, je me sentais trop juste pour me lancer dans la nature, rentrer dans une agence. L'Académie était une excellente plateforme : c'est l'Opéra de Paris, nous avons donc accès aux répétitions de la maison, nous pouvions voir tous les spectacles, apprendre en voyant les grands chanteurs, et avec les différents coachs. Ce furent deux années superbes malgré toutes les perturbations liées aux mouvements sociaux et au Covid. Mais me retrouver sur la scène de l'Opéra Garnier où j'avais vu mon premier opéra a été très touchant. L'Académie apprend ainsi à gérer la pression, notamment celle de chanter avec un grand orchestre comme celui de l'Opéra de Paris. Je commençais par l'air de Béatrice pour mon premier concert à Garnier, un air qui n'en finit pas et d'une redoutable difficulté, mais tout s'est très bien passé. On apprend à gérer la scène. C'est aussi l'occasion de faire des rencontres humaines et artistiques, de collègues chanteurs, instrumentistes (un pianiste et un violoniste me rejoindront pour le concert des Victoires). L'Académie apporte aussi des engagements : je participe à deux productions cette saison, j'en aurai deux autres la saison prochaine, je pense que cela continuera. J'ai aussi eu la chance de rencontrer Alexander Neef qui m'a beaucoup portée : j'ai pu faire les deux rôles-titres des productions de l'Académie, Didon et Lucrèce. La rencontre avec Leonardo García Alarcón était incroyable, sans parler de la découverte du rôle de Lucrèce qui fut un beau tournant artistique : ce que j'aime particulièrement avec le chant, c'est le théâtre. Le travail avec Jeanne Candel a été un mois et demi de bonheur pour travailler la complexité du personnage et l'engagement théâtral.
Avez-vous pu pleinement vivre ces deux années d'Académie, malgré les crises ?
Dans notre malheur nous avons eu beaucoup de chance : nos deux productions la saison dernière : Didon et Enée à La Grange au lac et Le Viol de Lucrèce aux Bouffes-du-Nord ont eu lieu, tombant pile entre les confinements, c'était une chance incroyable.
Nous avons aussi fait beaucoup de concerts filmés et captés, or les enregistrements sont indispensables de nos jours pour les concours, les auditions, notamment pour les jeunes artistes (cela coûte très cher à réaliser afin d'avoir de la bonne qualité, l'Académie nous a apporté ce matériel). On ne peut plus se passer du média et du web-média.
Cela étant, cela ajoute un stress, de savoir que les concerts vont être captés et diffusés. Il est très difficile aussi de contrôler ce qui est publié et diffusé sur nous, tout le monde peut prendre un appareil photo et filmer (je surveille cela régulièrement car je veux conserver mon droit à l'image, ça prend du temps).
Comment se prépare-t-on et comment vit-on les intensités de ces deux rôles-titres, Didon et Lucrèce, poignants, tragiques, menant au suicide ?
Didon était une mise en espace, mais Lucrèce était mise en scène. Après la première répétition de la scène du viol, je me suis effondrée en larmes. Forcément on teste ses limites, on va un peu trop loin dans le jeu et alors on se fait rattraper par l'émotion mais on ne peut alors plus chanter. Heureusement, nous avons tout remis à plat, l'équipe était superbe et tout s'est très bien passé. Le sujet impose une violence, beaucoup de contacts physiques : il faut alors en parler, beaucoup. Nous avons calé chaque geste avec Alexander York qui incarnait Tarquinius, nous avons beaucoup de respect mutuel, une totale confiance l'un en l'autre, aussi car nous étions collègues et amis depuis deux ans. Il faut aussi se dire que c'est difficile pour lui, il faut aussi qu'il se sente à l'aise et s'il y a le moindre souci, on en parle et on trouve une autre façon de faire (il y en a des milliers). S'il y a le moindre souci, il faut tout de suite aller en parler à la metteuse en scène dont c'est la responsabilité, mais ce n'était absolument pas le cas. Je n'ai heureusement jamais eu de problème de ce genre.
Cela étant, je suis aussi attirée par la richesse des rôles tragiques et de folie, j'y suis en tout cas plus à l'aise qu'en jeune première (heureusement car ma voix porte plutôt vers ceux-là). La complexité des rôles les rend fascinants à travailler, à préparer, à incarner. La restitution vient ensuite avec d'autant plus d'intensité (c'était notamment le cas aux Bouffes-du-Nord où nous sommes très proches du public, on sent tout : leurs larmes, leurs effrois, leurs respirations). Toutes ces réactions doivent passer par le public, pas nous envahir.
J'espère reprendre ce rôle, il est d'une tessiture assez grave, de contralto, mais l'orchestration est assez légère donc lorsque le jeu est justifié, il autorise toutes les couleurs vocales dans l'investissement scénique.
À peine après avoir terminé votre parcours à l'Académie, vous reveniez comme artiste invitée à l'Opéra de Paris, et sur cette scène marquante de Garnier pour un événement : le concert inaugural de Gustavo Dudamel comme Directeur musical. Comment l'avez-vous vécu ?
C'était un choc : l'événement, que j'y sois invitée, la place Garnier bouclée par les CRS, la présence du Président de la République, rencontrer Ekaterina Gubanova (que j'écoute et respecte beaucoup) pour ce duo extrait d'Ainadamar d'Osvaldo Golijov qui était également une belle découverte. Et puis ce chef a une énergie incroyable, il a une énergie immédiate. Carmen qu'on a entendu des milliers de fois que l'orchestre a joué encore davantage, était réinventé sous sa baguette, avec des sonorités, des couleurs différentes : cette énergie latine qui le caractérise et fait son génie, celui de réinventer le répertoire.
Gustavo Dudamel a beaucoup plus dirigé de symphonique que de lyrique, comment avez-vous apprécié sa direction en tant que chanteuse ?
Il traite aussi la voix comme un instrument, ce qui est aussi le cas, la voix est un instrument. Et au contraire, sa manière d'interagir avec la musique est très théâtrale. Je trouve que ça fait beaucoup de bien à l'Opéra d'avoir un chef symphonique et lyrique. Il respire tout le temps avec nous et il est très ancré dans le corps. Il utilise des percussions corporelles en répétitions et pour diriger (surtout pour la musique latine).
Cette grande présence corporelle me parle beaucoup et parle à tous les chanteurs. Il a une volonté de transmette manifeste et immédiate. Nous étions plusieurs jeunes artistes et il ne nous a nullement mis de côté mais au contraire, mis à l'aise dans un échange très naturel. Sentir qu'on peut avoir un dialogue (et non pas venir en tremblant pour parler au Maestro avec sa distance protocolaire), cela change tout : on peut lui parler facilement, échanger, lui proposer des choses. C'était une belle manière de commencer la saison et une nouvelle ère. C'était pour moi un très beau cadeau.
En novembre dernier vous participiez à la nouvelle création composée par Philippe Hersant (sur un livret de Jean Echenoz) à l'Opéra Comique : Les Eclairs, comment avez-vous vécu cet événement ?
C'était ma première création, et je tenais le premier rôle féminin, le tout dans une grande maison. C'était incroyable de pouvoir échanger avec le compositeur directement, de pouvoir lui poser toutes les questions comme on aimerait le faire avec Mozart. Philippe Hersant est de surcroît d'une grande gentillesse et ouverture d'esprit, il s'accordait aussi à nos instruments : c'est du spectacle vivant de chez vivant et dans une maison incroyable (à l'Opéra Comique, où je suis également membre de la troupe Favart).
Tout s'est très bien passé et nous sommes arrivés à la première très détendus. C'était très agréable et utile : la création contemporaine me plaît (dès que la musique est plaisante) et il faut continuer à créer. L'Opéra n'est pas un art mort et l'art est fait pour créer (sinon des talents se perdent).
La crise a-t-elle eu un impact sur ces engagements ou sur les prochaines saisons ?
savoir gérer la spontanéité et la dernière minute
Elle a totalement modifié son cours, car elle a profondément modifié le calendrier des distributions. Du fait de la crise, les productions ont été reportées avec leurs castings. C'est une bénédiction pour les artistes engagés car ils conservent leurs rôles et leurs cachets, sauf que, de fait tous les rôles sont déjà castés, et tous les interprètes s'y accrochent, ce qui est tout à fait logique. C'est toutefois gênant en terme d'opportunités. On auditionne un peu partout, ça se passe super bien mais on nous dit que tous les rôles sont déjà castés, même les plus petits pour les trois saisons à venir. Cependant, il y a aussi des rôles disponibles, et toujours en raison du Covid il y a des remplacements de dernière minute, certains chanteurs ont aussi arrêté leur carrière. Il faut donc être d'autant plus disponible, savoir gérer la spontanéité et la dernière minute, ce qui est dur quand on débute car on ne dispose pas encore d'un vaste répertoire à son actif. Il faut espérer que ces conséquences ne se prolongent pas encore au-delà des 4 ou 5 prochaines années. Les carrières se forment donc un peu différemment de l'ordinaire.
Considérez-vous que vous êtes encore aux débuts de votre carrière ?
J'ai toujours aimé la scène
Je suis débutante dans le sens où les rôles et les théâtres sont nouveaux pour moi, et parce que je suis très émerveillée par mon métier, systématiquement. J'ai toujours l'impression que chaque salut est le premier salut de ma carrière. Ce sont comme des débuts permanents. En même temps, je commence à avoir plus d'expérience, on pardonne moins de ce fait mais on me confie des rôles de plus en plus intéressants avec plus de choses à créer. J'ai toujours aimé la scène, j'ai toujours aimé le théâtre. Petite, je créais des spectacles avec mes cousines. Je ne faisais pas d'opéra mais j'aimais jouer et chanter. Je n'ai pas eu de barrière à briser, d'obstacles à surmonter... mais les salles sont de plus en plus grandes et mes débuts à Bastille approchent (avec Wozzeck).
Vous faites également partie d'Unisson, qu'est-ce que cela représente pour vous ?
Cette corporation d'artistes lyriques nous manquait. Nous étions un peu livrés à nous-même, ne serait-ce que pour des questions juridiques. Le système de l'intermittence est compliqué, alors on passait des coups de fil à des collègues pour y voir plus clair, on appelait Pôle Emploi mais le suivi et la compréhension du système dépend vraiment du conseiller. Unisson nous donne des informations fiables en ligne ou via des contacts de personnes qui s'y connaissent vraiment. Cette solidarité de groupe nous a aussi aidés car nous n'avons pas tous été logés à la même enseigne (j'ai fini mes études au conservatoire de Bordeaux il n'y a pas si longtemps et j'ai beaucoup d'amis qui se retrouvent sans rien, sans aide, sans intermittence, sans agent, sans contrat). Des fonds sont débloqués pour des jeunes avec Unisson. Pour ma part, j'ai eu la chance de sortir avant la crise, assez tôt pour que ma saison soit remplie.
Votre programme à venir annonce de grands écarts, qu'en attendez-vous ?
Beaucoup de variété et de plaisir. Rien que le nom du rôle de Trashella (qui s'annonce dans une reprise délirante de Robert le cochon et les kidnappeurs) est déjà à mourir de rire et nous indique que cela se passe dans une déchetterie. J'incarne Geneviève avec la Fondation Royaumont, j'enchaîne avec la modernité de Wozzeck, puis Parsifal et après quelques semaines pour souffler je chante Judith dans Le Château de Barbe-Bleue de Bartók au Luxembourg. Je chante des rôles avec une vocalité qui me va bien, qui me tombe bien dans la voix, où je me sens bien avec mon instrument.
Comment passez-vous d'un rôle à l'autre alors que vous abordez des caractères et des répertoires très différents ?
Grâce au théâtre, au texte, c'est le théâtre qui me plait. J'adore passer d'un personnage à l'autre et plus je fais de grands écarts entre les personnages plus je m'épanouis. Selon les personnages, on marche différemment, on agit différemment et bien sûr on chante différemment. Les couleurs changent. Je vois un peu la voix comme un orgue, où je vais tirer tel ou tel jeu, donner plus de pédale et changer de registre selon le personnage et le moment donné. C'est une création infinie qui me plait beaucoup : dans tous les répertoires, y compris le baroque que je chante peu (probablement parce qu'on ne m'y imagine pas mais j'espère qu'on me proposera ce répertoire comme celui de second dessus).
Naviguer entre les époques est sain, tant que c'est fait avec intelligence et prudence. Je ne vois pas du tout l'incohérence de chanter Lully puis Strauss, ça montre au contraire que l'instrument est sain, que la technique est souple. Ma saison enchaîne ainsi Mozart, entre Berg et Debussy, avec Wagner, du Hersant...
Votre voix vous porte vers cette diversité de répertoire ?
Ma voix se plaît bien dans ces répertoires, elle m'y mène, même si j'affectionne particulièrement le répertoire allemand. Je chante également du français, du russe et autres. Toujours avec prudence. Je pense faire du répertoire italien mais quelques années plus tard, quand j'y serai davantage dans mes baskets vocalement.
Quelles sont les prochaines prises de rôle qui vous intéresseraient ?
J'aimerais beaucoup qu'on me propose Charlotte pour laquelle j'ai beaucoup d'affection et qui m'a beaucoup accompagnée dans mon parcours. Il y a aussi les rôles d'Offenbach dans l'opérette : La Périchole, La Belle Hélène.
Mais également Concepcion dans L'Heure espagnole, Adalgisa, Suzuki, Mère Marie, Didon de Berlioz sont des rôles que j'aimerais chanter. Certains sont prévus, d'autres peut-être. Octavian aussi plus tard, c’est un rôle qui demande beaucoup de maturité et d’endurance.
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