L'Hymne à la joie ouvre 2022 à Radio France-Europe
Les traditionnels concerts du Nouvel An ont animé ce premier jour d'une année pleine de vœux et d'espoir pour la culture et la planète toujours confrontées à la crise sanitaire. Le concert du Nouvel An à Vienne, qui était joué devant une salle vide l'année dernière, a pu cette fois se tenir en public, faisant toujours l'événement en Eurovision. Quant à Paris, si la ville lumière n'a pas eu son feu d'artifice du Réveillon, la capitale française marque néanmoins par des monuments culturels un événement rare : la France ouvre l'année en prenant la Présidence semestrielle tournante du Conseil de l’Union Européenne (ce qui, dans l'organisation actuelle de l'institution, arrive seulement tous les 27 ans : chaque pays présidant à son tour, donc une fois tous les 13 ans et demi au premier puis au second semestre).
Les voies conduisant à la Maison de la Radio mènent à voir plusieurs monuments de la capitale illuminés aux couleurs de l'Europe : le Louvre, l'Opéra Garnier comme plusieurs autres à travers Paris et la France. Un immense drapeau européen flotte sous l'Arc de Triomphe, et la Tour Eiffel est à elle seule un emblème du Continent, illuminée en bleu avec douze étoiles dorées.
✨ @LaTourEiffel sillumine aux couleurs de lEurope pour le lancement de la #PFUE2022 ⭐ Très bonne année ! The Eiffel Tower wears the colours of Europe for the launch of #EU2022FR ⭐ Happy new year! En savoir plus https://t.co/WCgPV6UFdP pic.twitter.com/HtDSPgGf1B
— Présidence française du Conseil de lUE (@Europe2022FR) 1 janvier 2022
Pour l'occasion c'est le monument musical représentant l'Europe qui est interprété à Radio France : la dernière Symphonie de Beethoven. Cette nouvelle année est ainsi initiée en musique par un message d'espoir, toujours aussi précieux, en souhaitant qu'il apporte la fraternité chantée par l'Hymne à la Joie, et que la situation sanitaire continue de permettre aux concerts de se tenir. D'ailleurs, pour se tenir effectivement, de nombreux changements ont été nécessaires avec pas moins de trois remplacements sur les quatre solistes engagés et la suppression de la création programmée en prélude à cette Symphonie, venant s'ajouter aux mesures de distanciation pour le chœur et aux masques pour les cordes.
L'Orchestre Philharmonique de Radio France (fondé deux ans avant le début de la Seconde Guerre Mondiale) lance ces festivités avec fougue et entrain. La grande richesse de chaque pupitre est portée par l'énergie de caractères trempés, dans les timbres et les accents. Les pupitres et leurs solistes se démarquent d'autant mieux dans des effets de spatialisation et s'appuyant sur la chaude acoustique, juste assez résonante de l'Auditorium. Le timbalier, seul, presque soliste, ressort d'un son rebondissant avec précision. Le résultat fort romantique est conduit avec métier par Mikko Franck (Directeur musical nommé pour trois mandats équivalents à deux quinquennats, 2015-2025). Le chef dirige avec la grande précision de sa souplesse et la grande souplesse de sa précision, fouettant les coups du destin aussi bien qu'il sait conduire sans baguette, parfois même du regard, parfois même tourné vers le public et d'un sourire (qui se devine sous son masque, qu'il enlève pour articuler avec les chanteurs).
Les mouvements orchestraux échevelés délaissent la précision strictement métronomique, au profit d'un esprit emporté mais gardant toujours la conscience du temps et du geste. D'autant que les instrumentistes savent apaiser les phrasés, dans la noble tradition d'un menuet pour le troisième mouvement. Le quatrième et dernier (et fameux) mouvement s'ouvre ainsi sur le chant intense résonant aux cordes graves, claquant sur les timbales pour mieux rebondir avec précision et légèreté sur tout le reste de la phalange dans les échos des mouvements précédents. Les phrasés se déploient en l'Hymne à travers les pupitres jusqu'aux cuivres éclatants et à une voix de stentor. Matthias Goerne assume cette première intervention soliste et l'assise grave de l'édifice vocal. La voix tonne et tourne dans cet immense chalet, comme un javelot lancé qui traverserait le continent. L'interprète joint le geste à la parole, regardant à travers la salle, prenant tous les auditeurs à témoin pour en appeler à la fraternité universelle, de son articulation modèle, de son épais et large ambitus. À ses côtés, Norbert Ernst déploie son ténor de caractère dans un riche dialogue avec Matthias Goerne, et seul par des accents très projetés. Les intentions comme les élans traversant parfois la masse sonore résonnent avec le caractère héroïque du texte et de l'œuvre.
La soprano Sally Matthews aurait dû incarner encore la veille Norma à La Monnaie, dont les trois dernières représentations ont été annulées (même si le Conseil d'Etat belge a contraint le gouvernement à revenir sur sa décision de fermer les théâtres, la production avait été désinstallée entre-temps, mais nous vous avons rendu compte de la première). La chanteuse est d'abord en difficulté, peut-être en raison de cette interruption inattendue mais certainement davantage en raison de sa partie très compliquée à négocier, les solistes de cette Symphonie devant s'imposer par des interventions aussi courtes qu'intenses. L'aigu rapide est serré et même acéré, et pourtant sa voix finit par retrouver et déployer son phrasé et son timbre sculpté, qu'elle porte et conserve même dans le suraigu.
La mezzo-soprano Okka von der Damerau se met quant à elle pleinement au service de l'ensemble, non seulement du quatuor de solistes mais de tout l'effectif. L'auditeur doit tendre l'oreille, ou plutôt focaliser son attention dans sa direction pour remarquer son timbre suave et chaleureux, mais il ne peut alors que constater combien son phrasé et son articulation étayent la musique et son caractère.
Les voix solistes sont soutenues par l'Orchestre et suivies par le Chœur de Radio France (préparé par Edward Caswell) qui en emprunte les caractères. Chantant sans aucune partition et presque tous sans masque, les choristes occupent tout un hémicycle, de fait non pas seulement derrière l'orchestre mais encadrant celui-ci. Les choristes sont ainsi distanciés et emplissent l'espace acoustique. Cela entraîne toutefois un défaut d'écoute et une hétérogénéité mais qui ressemble à celle des solistes. Les pupitres masculins déploient et placent un son ample avec des graves présents mais un aigu presque glissant. Les sopranos haut perchées œuvrent à ne pas trop réduire les harmoniques de leurs voix sinon acérées. Enfin les altos sont entièrement au service de l'édifice vocal et même musical commun par l'épaisseur discrète de leurs timbres et articulation.
Le public acclame les phalanges de la maison et le chef, ainsi que les solistes dont la qualité correspond bien moins à la durée de leurs interventions dans cette œuvre, qu'à la dimension de l'événement
Ce concert sera diffusé le 17 janvier 2022 à 20h :